L'on hait avec excès lorsque l'on hait un frère | Gwynplaine & David

L'on hait avec excès lorsque l'on hait un frère

Si les choses n’allaient pas exactement comme David le voulait pour le moment, ce n’est pas pour autant qu’il s’oubliait, ou qu’il oubliait de vivre sa vie. Il n’allait pas tout mettre en suspens à cause de cette affaire. Rien n’était encore joué de toute manière, alors il n’était pas nécessaire de trop s’affoler. Il allait tout de même falloir qu’il s’entretienne avec Josianne, parce qu’il était évident qu’il ne la laisserait pas faire n’importe quoi. Il n’était pas fou, ni aveugle au point de ne pas remarquer certaines choses. Qu’elle s’intéresse à Gwynplaine autant qu’elle le veut, mais il est hors de question qu’elle ne l’épouse plutôt que lui, et qu’elle lui offre l’argent qui lui revient. Hors de question.

Enfin, rien n’était encore joué, c’est pourquoi, David s’offrait quelques parenthèses de détente, où l’oisiveté était reine, fidèle à lui-même, il n’allait tout de même pas oublier tous ses principes, toutes ses envies à cause de ces histoires. Pour sûr, il avait de la chance d’avoir de l’argent, même sans l’héritage, mais ce n’était pas assez, cela ne l’était jamais. Et s’il pourrait reconnaître que son demi-frère en avait plus besoin que lui, il ne le faisait pas, parce que ce n’était pas dans son intérêt, déjà, et ensuite parce qu’il s’en fichait totalement, de la condition de l’acteur. Il n’y était pour rien lui s’il était aussi misérable, et pas que sa condition monétaire. Tout chez lui était… misérable. Cela l’agaçait de penser que cet énergumène était de sa famille, il ne le prenait même pas en compte de toute façon, pour lui, ils ne partageaient pas du tout le même sang.

Enfin, durant sa soirée, il n’avait pas du tout pensé à tout cela. Entouré de bonne compagnie, d’amis comme d’inconnus, David s’était noyé dans l’ivresse et l’opulence, tout en se faisant plaisir. Il appréciait beaucoup ce genre de petites sauteries. En même temps, la vie était faite pour être vécue, si c’était pour s’arracher les cheveux durant des jours et des jours suite au premier petit problème, ou alors se restreindre de tout sans véritable raison, cela n’avait absolument aucun intérêt selon le rentier.

Quoiqu’il en soit, la soirée était à présent terminée, et il était donc temps pour David de rentrer chez lui. Il était bien alcoolisé, mais il marchait encore droit, donc il pourrait normalement réussir à rentrer jusque chez lui sans trop de soucis, du moins, il fallait l’espérer. Ne faisait pas trop attention où il mettait les pieds et sa vision étant trouble dans tous les cas, il finit par percuter quelqu’un. Il retint un léger grognement d’inconfort et plissa les yeux dans la pénombre pour tenter de voir de qui il s’agissait, et il fut surpris de voir Gwynplaine devant lui.

« Encore toi ? »

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David était bien curieux de savoir pourquoi l’on s’obstinait à lui mettre Gwynplaine sur son chemin. Il en avait plus qu’assez de lui. Il en entendait parler à droite, à gauche, de façon volontaire ou non. Mais David n’avait aucune envie d’entendre parler de « l’homme » qui lui volait toute sa fortune sans aucune raison, aucun motif valable. David ne pouvait plus le supporter. Encore qu’en entendre parler était déjà très agaçant en soit, mais en plus le voir, cela rendait les choses encore bien pires. Surtout avec la quantité d’alcool qu’il avait dans le sang. Cela n’aidait pas, bien au contraire, il y avait plus de risques pour que la situation s’envenime.

En même temps, David voyait mal comme il pourrait ne pas s’énerver. La situation était loin d’être parfaite. Oh elle l’avait été, jusqu’à l’arrivée de ce prétendu fils légitime. David ne pouvait le considérait que comme un bâtard, et encore il était gentil. Mais il ne considèrerait jamais Gwynplaine comme l’héritier de Clancharlie, et n’accepterait qu’il lui prenne tout ce qui lui était dû. Il n’était pas son frère, loin de là, il n’était qu’un insecte, un parasite et un voleur. Rien de plus. De toute façon, il doutait que l’homme qui rit veuille nouer des liens fraternels avec lui, ou alors, il était vraiment stupide. Déjà que David ne le pensait pas très futé.

Très sincèrement, Gwynplaine suscitait l’engouement pour sa différence, parce que c’était quelque chose de nouveau, d’intriguant, et que la cour avait sans cesse besoin de distraction. Il avait peut-être toutes les lumières sur lui, mais cela ne durerait pas. Il tomberait dans l’oubli, et les réactions pourront se faire plus… radicales. En tout cas, David était absolument certain que Gwynplaine n’aurait bientôt plus d’alliés, plus personne pour lui ouvrir les portes, il se retrouverait seul et faible. Et ce ne sera que justice. Même s’il avait l’argent, ce à quoi David était toujours bien fermement opposé, il n’aurait rien d’autre. Il entrait dans un monde dangereux, qu’il ne connaissait pas. Le jeu du pouvoir, de l’argent et de la noblesse, il fallait y être préparé depuis la naissance pour pouvoir y évoluer sans crainte, et Gwynplaine n’était absolument pas taillé pour ça, ce qui arrangeant grandement David qui pouvait donc trouver des failles à exploiter. Il ne laisserait pas les choses ainsi, quand bien même ce n’était pas dans ses habitudes d’agir, là c’était plus que capital.

Quoiqu’il en soit, il n’avait absolument aucune intention d’être aimable avec Gwynplaine. C’était hors de question. Il ne le connaissait pas vraiment, mais il n’avait aucune intention de le faire. Il n’aurait jamais dû apparaître dans sa vie, il n’aurait jamais dû naître. David en voulait énormément à son père évidemment, et cela ne risquait pas de s’arranger.

« C’est vous qui m’avez percuté… »

Il haussa un sourcil en le fixant. L’alcool rendait sa vue quelque peu brouillée, mais cela n’avait pas d’importance, il savait à qui il avait à faire, et cela ne pouvait que le rendre désagréable avec ce dernier. Il lui lança un regard plein de mépris, qui n’était en aucun cas exagéré. Les choses risquaient fort de dégénérer, mais tant pis, il n’avait pas l’intention de fuir.

« Et alors ? J’étais là avant, c’est tout. Et il faut toujours que tu te retrouves sur mon chemin. »

Que ce soit sur la route, ou pour l’héritage, cela revenait au même. Il était l’aîné.

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Le simple fait d’être au courant de l’existence de Gwynplaine exaspérait David, mais le voir était pire que tout. Et le fait qu’il soit très alcoolisé n’arrangeait strictement rien. Au contraire. Il en avait plus qu’assez que ce dernier ne vienne lui polluer l’existence tout le temps. Il lui volait déjà son héritage, voilà maintenant qu’il le croisait dès qu’il faisait trois pas. Cela n’allait pas du tout, il n’en pouvait plus, et il était grand temps que le jeune homme disparaisse. Il se fichait pas mal qu’ils aient le même père. Gwynplaine n’était pas, et ne serait jamais son frère, il était juste une plaie, une tare à effacer.

Et David veillerait à ce que cela soit fait. Josiane avait promis qu’elle s’occupait de la situation, il espérait qu’elle tiendrait parole. Il ne pouvait pas laisser… ça, lui prendre son héritage, c’était totalement ridicule. Gwynplaine n’avait rien à faire dans leur monde, qu’il reste avec les gueux, ce serait bien plus profitable à tous. Avec sa chère famille adoptive, qu’ils partent loin avec leur spectacle et qu’ils cessent de mettre leurs nez dans ses affaires. Ce serait bien pour tout le monde, même pour Gwynplaine. Il courrait à sa perte avec cet héritage, et ce, par de bien nombreuses façons. Il avait tout à gagner en se retirant, en allant vivre sa vie ailleurs, mais il ne voudrait pas l’entendre, et David n’était pas d’humeur ni d’état à lui expliquer.

« La rue est à tout le monde. »

Bon Dieu mais qu’il était mou ce garçon. David peinait à croire qu’ils partageaient le même sang. Ou bien l’homme qui rit ressemblait davantage à sa mère. Il n’en savait rien, mais ce n’était pas très important, puisque dans son esprit, il n’était pas son frère, ou son demi-frère comme il était plus exacte de le signifier. Leur père avait eu plus que tort d’engendrer cet enfant avec sa soi-disant épouse, et maintenant qu’ils étaient tous morts, c’était David qui devait payer les pots cassés, ce qu’il ne supportait pas.

« Et j’ai bien plus ma place ici que vous. »

S’il comptait lui tenir tête, David allait vite le faire déchanter. Voilà qu’il se prenait probablement déjà pour qui il n’était pas, et qui il ne sera jamais. Il n’appartiendrait jamais à la haute, il ne resterait qu’une bête de foire, un phénomène de mode dont les gens se lasseraient, et il se retrouvera seul avec des tas d’ennemis et il n’aura que ce qu’il mérite, rien de plus.

« Ta place. Et que crois-tu qu’elle soit, ta place hm ? Tu ne devrais même pas en avoir, de place. »

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David n’aimait absolument pas la tournure de leur conversation. En même temps, peu importe le sujet qu’ils auraient abordé, cela ne lui aurait tout simplement pas plu. Et pour une bonne raison, parce que Gwynplaine était son interlocuteur. David détestait ce gamin pour être le soi-disant fils légitime de son père. Ce n’était pas juste, vraiment pas. Cet héritage lui avait toujours été promis, et voilà que maintenant, quelqu’un le lui volait. Il est vrai que s’il s’était marié avec Josiane tout de suite, il n’y aurait pas eu ce problème, mais il n’avait aucune envie de reconnaître ses torts maintenant, et encore moins en étant soul. Quoiqu’il en soit, si le jeune homme pensait s’en tirer comme ça, il se mettait le doigt dans l’œil, ça n’allait pas du tout être le cas. David n’avait pas dit son dernier mot, et l’homme qui rit n’allait bientôt plus rire du tout.

Il n’était rien, ni personne. Il n’avait rien à faire dans le monde de la noblesse, et s’il y restait, il allait vraiment finir par le regretter. D’autant plus que David était malade, d’imaginer ce gosse dépenser sa fortune n’importe comment. En la donnant à sa famille adoptive, par exemple. Ça n’allait pas du tout, et il refusait que les choses se passent ainsi. Il était prêt à faire ce qu’il fallait, il était déterminé, et les choses n’allaient pas se passer comme l’arrêté royal le proclamait. Il ne savait pas encore avec précision la manière dont il allait opérer, mais il n’allait pas se tourner les pouces. Pourtant, David n’était pas un homme d’action, il s’était distingué à la guerre, mais depuis, il préférait, et de loin, mener une vie d’oisif, c’était beaucoup plus agréable pour lui.

« Ce n’est pas moi le bâtard dans l’histoire. »

Alors là, il franchissait des limites. David n’allait pas se laisser insulter. D’ailleurs, qui croyait-il être pour lui parler ainsi ? Si l’homme n’avait pas eu plus d’éducation que cela, il aurait probablement frappé le garçon, mais cela ne lui serait pas bénéfique. En tout cas, David avait de moins en moins de scrupules à vouloir pourrir la vie de ce jeune homme, à l’entendre parler. Comme si la situation n’était déjà pas assez pénible pour lui en ce moment, il ne manquait plus que la cause de tous ses soucis se donne le droit de l’insulter. Il enchaînait vraiment toute cette pagaille.

« Je te conseille de faire très attention à tes paroles, ne t’octroie pas des droits que tu ne possèdes pas. »

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Cette conversation n’allait pas en s’arrangeant, c’était un fait. Mais en même temps, David n’avait absolument aucun moyen de se calmer, ou même l’envie, face à son demi-frère. A ce rejeton sorti de nulle part, monstrueux, et qui s’octroyait le droit des autres. David se moquait de la légitimité ou non de cet enfant. Pourquoi aurait-il le droit de lui prendre son héritage ? De lui voler ce qui devait lui appartenir. Gwynplaine n’avait jamais connu ses parents, il n’était le fils de personne, de cet artiste de rue au mieux, et c’était sa place d’ailleurs, la rue. Il n’avait rien à faire dans le monde de la noblesse, il était un moins que rien, et il fallait donc qu’il le reste. David n’avait aucune compassion pour lui, aucun sentiment fraternel naissant pour cet homme, il ne le considérait que comme le voleur qu’il était, et les choses ne se passeraient pas ainsi.

Le taux l’alcool qu’il avait dans le sang ne l’aidait pas vraiment à se calmer non plus. Mais Gwynplaine n’avait pas à lui répondre, il se devait de rester à sa place, de s’écraser, parce qu’il ne méritait pas autre chose. Il voulait s’aventurer dans un monde qu’il ne connaissait pas, et dont il n’avait absolument pas les codes. Il avait été élevé en moins que rien, il ne pouvait pas devenir noble du jour au lendemain, et ce n’était pas des titres et de l’argent qui le ferait devenir le digne héritier de leur père, certainement pas. Il ne serait qu’une erreur, une anomalie au milieu des autres. Et ces autres, s’ils se montraient intrigués, curieux et amusés par la nouveauté, ce ne serait qu’une passade, ils se détourneraient ensuite de lui, et lui en feraient voir de toutes les couleurs, pour sa différence, pour son apathie, et parce qu’il n’avait strictement rien à faire parmi eux. Mais Gwynplaine ne s’en rendait certainement pas compte, parce qu’il ne connaissait rien de leur monde, et parce qu’il était bien trop naïf, tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas tenter de s’immiscer dans un monde qui ne voulait pas de lui.

« C’est bien ça le souci, je les possède parfaitement ces droits. Contrairement à vous d’ailleurs… qui vous octroyez les droits d’un autre. »

Sale gamin. De quel droit osait-il lui parler ainsi ? Il lui devait le respect, il était son aîné, et en plus de cela, il lui était supérieur en tout. De toute évidence, toute cette histoire était déjà montée à la tête du plus jeune, en soit, ce n’était pas si déplaisant, sa chute serait d’autant plus rapide, et d’autant plus délectable à observer. David observa son cadet avant de ricaner, il était si pathétique, si loin de la vérité.

« Qui crois-tu donc être petit ? Tu penses que tu vas devenir quelqu’un ? Tu te trompes lourdement. Tu ne connais strictement rien, de ce monde dans lequel tu veux te faire une place. Et il n’y aura absolument personne pour te tendre la main, tu resteras cette bête de foire aux yeux des autres, une anomalie à corriger. Et si tu crois que ta famille d’éclopés sera à l’abris, c’est vraiment que tu es encore plus bête que je ne le pensais. Tu n’as absolument aucune idée de ce qu’il t’attend. »

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David n’aimait pas du tout les manières de ce gamin. Même s’il n’avait pas reçu d’éducation correcte, ça n’excusait rien, et déjà qu’il avait de la rancœur à son égard, cela n’arrangeait rien. Probablement que son nouveau statut devait lui monter la tête. Mais David allait faire en sorte de le redescendre. Rien n’était encore gagné pour lui, et il y avait beaucoup de personnes qui ne souhaitaient pas s’en faire un ami. Il n’avait peut-être pas conscience du danger qu’il encourait potentiellement, mais il ferait mieux de couvrir ses arrières. Personne ne pleurerait sa disparation parmi la haute société, Gwynplaine n’était qu’un phénomène de mode, une curiosité qui amusait, et qui finirait par lasser tout le monde, parce que les choses marchaient ainsi dans leur monde. Personne ne lui tendrait la main pour l’aider à endosser son nouveau titre, mais David comptait agir avant qu’il ne possède quoique ce soit.

Il ne pouvait cependant pas le lui dire clairement, ce serait contreproductif. Et malgré le fait que David était alcoolisé, il en avait parfaitement conscience. Cependant, ce gamin le provoquait, et il ne comptait pas se laisser faire. Il était possible que ce soit lui qui l’ait un peu cherché, mais cela ne changeait strictement rien à ses yeux, bien au contraire. IL était très loin de le considérer comme son frère, et ne le ferait sans doute jamais, alors il avait peu de scrupules à se montrer dur envers lui.

« Qui je pense être ? Je suis déjà quelqu’un vous savez ? Et très clairement quelqu’un de plus important que vous. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que je suis plus légitime que vous. »

Plus important que lui. Rien que ça. Il se méprenait totalement. Gwynpaline n’était rien ni personne, ou alors une bête de foire, là pour attirer les curiosités malsaines. Il n’avait rien de légitime. David se fichait que leur père ait été marié à la mère de Gwynplaine, il avait grandi dans la rue, et se produisait sur scène, il ne méritait en aucun cas l’héritage laissé par leur père, cela ne faisait absolument aucun doute. Gwynplaine n’était rien d’autre qu’un voleur à ses yeux, et il ne s’en tirerait pas à bon compte. Au lieu de s’énerver de ses propos, David se mit à ricaner, puis à rire un peu plus franchement.

« Vraiment, c’est avec une répartie aussi pauvre que tu compte survivre dans ce monde où tu penses être légitime ? Mon pauvre garçon, tu vas te faire manger tout cru. »

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