Est-il des problèmes que le vin ne sache résoudre ? [pv Grantaire :3]

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onine ne répondit rien quand son interlocuteur lui fit remarquer qu'elle ne savait pas ce qu'elle manquait. Oui, elle ne le savait pas, justement, c'était tout le problème. Elle ne pouvait que s'imaginer ce qui se passait dans l'arrière-salle du Musain... Et quelque part, il était très possible qu'elle serait déçue si elle finissait par apprendre ce qu'il en était réellement. Elle ne pouvait concevoir qu'en imagination les réunions des Amis de l'ABC. Le tout encouragé par le fait qu'elle connaissait au moins de vue ceux qui y participaient, et ce que des personnes telles que Louison et Grantaire pouvaient bien lui en dire. Au bout du compte, ce n'était vraiment pas grand-chose. Ce n'était même rien du tout.

Cela ne l'aidait pas à avoir un vraie appréhension de ce qui se disait et de comment les choses se produisaient, d'autant que ses deux témoins de l'affaire (et Louison ne l'était qu'occasionnellement, durant son service, sans avoir le droit de s'attarder pour autant) n'avaient pas du tout la même vision des choses : d'n côté, la ferveur, la dévotion infinie à une cause qui serait plus grande qu'eux. De l'autre côté, du pur et simple divertissement. Rien d'autre. Donc non, en effet, elle ne savait bel et bien pas ce qu'elle ratait, et il était très probable que les choses demeurent ainsi dans tous les cas. Elle n'était pas curieuse au point d'aller fouiner en douce, ce qui à la longue pourrait se révéler dangereux.

-J'ai du mal à comprendre pourquoi tu l'admires autant alors que tout ça n'a pas l'air de t'intéresser du tout, observa Eponine.

C'était la vérité. La seule chose qui avait l'air de véritablement intéresser Grantaire dans les réunions des Amis de l'ABC, à part l'alcool, mais il pouvait disposer de ce dernier à loisir, sans souci, c'était Enjolras et ses discours. Pas pour la teneur des discours mais pour les talents rhétoriques de ceux qui les prononçaient. Ponine était curieuse, elle n'était pas sûr de comprendre, et pour cause, elle ne pouvait que concevoir de l'imagination où il y aurait peut-être, en définitive, davantage.

Elle ne savait pas si Grantaire daignerait lui répondre, mais dans tous les cas, elle souhaitait vraiment en apprendre davantage. Elle se disait que cela lui permettrait aussi, également, de mieux comprendre son interlocuteur. Grantaire était à ses yeux un personnage singulier. Il lui était naturellement très sympathique, mais elle avait bien conscience du fait qu'avec le jeune homme, elle n'avait gratté que la surface. Une surface ivre, indifférente, indolente, qui cachait peut-être bien davantage sans pour autant réellement le reconnaître, peu importe de quelque manière que ce soit. Alors elle était curieuse de connaître sa réponse, vraiment très curieuse.

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onine afficha un sourire amusé quand son interlocuteur lui assura que lui-même ne savait pas exactement pour quelles raisons il admirait autant un homme qui pourtant passait son temps à s'exprimer en faveur d'idéaux qui le laissaient complètement de marbre. De toute évidence, le magnétisme que le jeune révolutionnaire exerçait sur lui dépassait ce que Grantaire était capable d'expliquer... peut-être parce qu'il ne tenait pas réellement à l'expliquer non plus. Au fond, ça n'avait sans doute pas d'importance puisque Grantaire semblait bien le vivre quoi qu'il en soit. Il n'empêche, ça avait le don malgré tout d'aiguiser sa curiosité... et la réponse qu'il lui donnait ne suffisait pas véritablement à satisfaire cette dernière, elle devait bien le dire.

Est-ce que cela venait d'Enjolras, ou bien seulement de celui qui lui vouait tant d'admiraton ? C'était difficile à dire, au bout du compte. Quand Ponine posait les yeux sur ce jeune homme aux jolies bouclettes blondes, elle pouvait lui reconnaître un certain charisme, mais elle restait malgré tout indifférente à sa personne et à son discours. Il y a des individus, ainsi qui réussissaient à vous marquer, vous, plus que n'importe qui d'autre, pour des raisons absolument inexpliquables.

-C'est impossible de dire pourquoi on aime, répondit Ponine avec ce qui ressemblerait presque à de la philosophie dans le creux de la voix.

Parce qu'elle était bien placée pour le savoir. Ce que Grantaire disait d'Enjolras, Ponine pouvait l'identifier à ce qu'elle-même pensait de Marius. Est-ce que ça signifiait qu'elle prêtait à son interlocuteur des sentiments déplacés ? Non, bien sûr que non. Loin de là, même. Elle était à mille lieues de s'imaginer que le jeune homme, de son côté, pourrait nourrir quelque sympathie... déviante pour le chef de file des amis de l'ABC. Non, elle considérait que l'amour pouvait prendre bien des formes différentes, mais la profonde amitié de Grantaire pour Enjolras ressemblait à s'y méprendre à la fervente admiration qu'elle ressentait pour le beau Marius. Dans un cas comme dans l'autre, ils s'en mordraient forcément les doigts. Ce n'était pas explicable, et il y avait de fortes chances que ça vienne bien davantage de lui-même que de l'objet de ses considérations. Mais dans tous les cas, ça ne changeait pas grand chose. Ils ne pouvaient en aucun cas expliquer l'inexpliquable, et sans doute valait-il mieux se contenter de le reconnaître sans y réfléchir davantage.

Dans le cas de Grantaire, au moins, il pouvait s'amuser de la situation, et rien ne l'empêchait de demeurer dans le sillage d'Enjolras, il n'y avait aucune raison pour qu'il en souffre. Le cas d'Eponine était plus complexe, et il serait préférable, au fond, qu'il cesse de le comparer à celui de n'importe qui d'autre.

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onine n'avait pas l'intention de mettre Grantaire mal à l'aise ou même de le confronter à ses éventuelles déviances. Non, pas du tout, sa pensée et son propos étaient ce qu'il y a de plus innocents. Eponine considérait que Grantaire aimait Enjolras comme deux frères s'aimaient entre eux, et certainement pas comme elle aimait Marius. Mais même s'il s'agissait de deux formes d'affection différentes, le message n'en demeurait pas moins le même, aux yeux de la jeune femme, du moins : l'amour ne s'expliquait pas, il était, c'est tout. Et c'était au fond ce qui le rendait aussi fort, aussi beau... même si par moments aussi douloureux, également, et de ce point de vue, elle en savait définitivement quelque chose.

Alors oui, parfois, on aimerait comprendre pourquoi on aime malgré tout. Ponine la première. Elle avait des pistes, au sens où elle savait ce qui rendait Marius "aimable" à ses yeux : elle le trouvait beau, elle le trouvait intelligent, elle aimait sa verve, son courage, sa gentillesse... mais ces qualités, chez un autre, auraient pu lui plaire sans toutefois la séduire. Il y avait dans le transport que le jeune homme parvenait à encourager chez elle une forme d'indiscible qui ne demandait pas forcément à être élucidé. Et pour cause, une fois le mystère résolu, ne perd-il pas tous ses attraits ? Dans le cas de la jeune femme, il vaudrait peut-être mieux, justement, que ces attraits se dissipent et finalement disparaissent. Elle souffrirait moins, ainsi... Elle tirerait un trait sur cet homme et reprendrait le cours de sa vie. Mais aimer Marius ne la rendait pas tout le temps malheureuse. Cet amour lui offrait de rêver, aussi. Et ces rêves étaient les plus puissants et les plus tendres que l'on puisse concevoir... Elle n'avait envie d'échanger aucun d'eux contre aucun autre.

-Je suis d'accord, répondit-elle dans un hochement de tête. Je ne pense pas que comprendre serve à quoi que ce soit, tant qu'on est heureux d'être ignorant.

Dans le cas de Ponine, elle ne l'était pas toujours, c'est un fait, mais elle ne pensait pas que Grantaire ait à souffrir comme elle le faisait. Parce qu'elle ne l'imaginait pas subir les affres de la jalousie. Peut-être souffrait-il de quelques débats houleux, desquels il ne retirait que de l'insatisfaction et peut-être la peur d'avoir déçu quelqu'un qui lui est cher, mais elle ne pensait pas que ce cas doive être observé comme une généralité malgré tout. Lui, son ignorance avait l'air de lui rendre bien service, alors elle serait définitivement la dernière à l'encourager à creuser davantage. Grantaire, s'il était satisfait, ne devait pas s'empêcher de l'être sous le prétexte de se creuser la cervelle. Et elle ne lui demandait rien de tel. De toute façon, il ne l'écouterait pas. Et c'était très bien comme ça.

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