L'amitié est la communauté des secrets | Luc & David

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a confiance qu'exprimait David faisait plaisir à entendre, et Gillenormand n'avait certainement pas envie de la saper, mais il se montrerait tout de même bien moins confiant quant au fait qu'il avait encore de beaux jours devant lui. C'était devenu un sentiment tenace et prégnant dans son esprit, il vivait ses dernières années de vie sur cette terre, et il se félicitait d'être un croyant invétéré, cela rendait la perspective du passage de l'autre côté un peu plus supportable, bien que néanmoins terrifiante.

Et il ne le pensait pas sans raison. Ce n'était pas juste une intuition surgie de nulle part, c'était un constat qu'il faisait en relation avec tout ce qu'il pouvait être encore capable ou non d'accomplir au quotidien, et autant dire que ses possibilités rencontraient des frontières de plus en plus proche à mesure que l'âge gagnait du terrain. Il était constamment épuisé, à un point inexprimable, il ressentait une incommensurable douleur au creux de la poitrine chaque fois qu'il faisait un effort un peu trop intense, le moindre mouvement exigeait de sa part une énergie inexprimable... non, vraiment, il n'avait rien du vigoureux vieillard que David se permettait de voir en lui.

Certes, il avait rencontré un évident regain d'énergie depuis le retour de Marius au bercail, qui compensait un peu toute celle qui l'avait déserté à son départ, mais il doutait fort que cela suffise à le faire tenir bien longtemps. Encore que, son désir de connaître son ou ses petits-enfants était en effet si vif qu'il se pourrait bien qu'il lui permette de tenir le coup plus longtemps qu'il ne l'appréhendait. Mais c'était une crainte qu'il se sentait obligé de formuler. Surtout, qu'il se sentait capable de formuler en présence d'un ami, ce que tout le monde ne savait pas forcément être pour lui.

-Je l'espère, en tout cas, répondit Gillenormand, non plus au sujet de ses chances de survie, mais concernant son fils, ou du moins celui qu'il considérait comme son fils en négligeant la génération supplémentaire qui rendait justement si délicat son statut d'arrière-grand-père. Il est loin d'être encore guéri de toutes ses fadaises. Il reste si distant, avec moi..., admit-il avec une légère déception.

Marius lui était revenu, oui, mais il y avait toujours dans sa voix et dans son regard ce fond d'amertume qui ne pourrait pas faire oublier au vieillard les reproches que son petit-fils lui faisait toujours.

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Peut-être en effet Marius avait-il seulement besoin de devenir adulte, mais Luc estimait que Marius avait dépassé l’âge des enfantillages. Il n’était plus un enfant, pas plus qu’il n’était un adolescent. Il était un homme, jeune certes, mais jeune malgré tout. Il fallait du temps à certains homme pour mûrir, mais Marius était tout de même engagé sur une voie qui devait concerner nécessairement ceux qui avaient cessé de grandir : il était marié, après tout. Certes, il l’avait fait presque sur un coup de tête, sans témoins ni famille, ce qui n’était pas une preuve absolue de maturité, loin de là, mais devait-on l’en blâmer.

Aux yeux de Luc, c’était une chose que d’espérer qu’il revienne sur le droit chemin, c’en était une autre que d’espérer qu’il le fasse de son propre chef, comme si cela devait se faire naturellement. Il voudrait espérer que oui, mais il en doute tout de même très franchement. Et pour cause, difficile de ne pas en douter quand le jeune homme se révélait si réfractaire dans ses convictions profondes à toutes celles qui avaient façonné et jalonné l’existence du vieil homme. Quand il devient question de convictions personnelles, tout devient aussi, par la même occasion, beaucoup plus compliqué, beaucoup plus délicat… Il aimerait qu’une solution plus directe se présente à lui, mais il y croyait de moins en moins, et Marius ne s’épargnait pas de lui donner des raisons de douter. Même de retour, il ne gâchait jamais une occasion de lui opposer ses convictions résolument révolutionnaires… ce qui ne pouvait pas coller avec ce qu’il attendait de lui.

-J’espère que vous avez raison, dit-il sans se laisser totalement convaincre par le discours de son interlocuteur pour autant.

Il restait sceptique, sans certitude. Mais il fallait bien qu’il espère, puisque le temps lui était compté. Il sentait bien que ses vieux os, de plus en plus fragiles, ne passeraient un printemps de plus que s’ils avaient de la chance. Il se sentait épuisé, fatigué, il se sentait… vieux, éteint. Il avait besoin, de tout cœur, que Marius se range et devienne l’homme qu’il devait être tant que Gillenormand aurait l’occasion et la possibilité d’assister à ce spectacle.

- Je pense qu’il changera quand il aura des enfants. Prendre soin d’un enfant vous fait prendre conscience de responsabilités que vous n’auriez jamais soupçonnées.

Et à ce titre, Gillenormand parlait aussi bien de sa fille qu’il n’évoquait Marius, qu’il avait considéré comme un fils avant tout, quand bien même il était son petit-fils.

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illenormand, au moment d'entendre son ami lui répondre qu'il ne pouvait que le croire sur parole quant à ce que la parentalité pouvait changer en vous se demanda un instant s'il n'avait pas fait preuve de maladresse, et par la même occasion, d'indélicatesse. Il n'avait très sincèrement pas songé au cas très particulier de son interlocuteur au moment de prononcer ces mots, et il commençait à le regretter, à présent. Certes, l'homme ne semblait pas lui tenir rigueur de son discours, mais il devait admettre qu'il n'avait pas été très malin de parler de cela alors qu'il savait bien que David n'avait jamais eu d'enfants.

Et même s'il était fiancé (encore que cela se discutait, à présent, avec le retour de Gwynplaine, le fils légitime de Linnaeus, sur le devant de la scène - au sens propre comme au figuré), il était peu probable que le couple ait un jour une descendance. David n'était pas de toute première jeunesse, et même Josiane n'était plus exactement dans la fleur de l'âge en dépit de sa différence d'âge avec David. Dans tous les cas, Gillenormand estima préférable de ne pas faire trop de commentaires sur la question. Il se doutait que ce serait tout sauf une bonne idée, et que ce pourrait même se retourner contre lui. Il était délicat d'interroger son interlocuteur sur son désir ou non d'enfant, c'était éventuellement prendre le risque d'ouvrir une plaie qui ne cicatriserait jamais parfaitement.

Non, mieux valait se concentrer sur le reste de la conversation. Et, une chance pour Gillenormand, son ami avait décidé de ne pas s'épancher sur la question. Que ce soit par gêne ou par indifférence, peu importe, au moins changeaient-ils de sujet, ce qui était éventuellement une excellente chose. David venait de lui proposer de parler à Marius, de discuter avec lui de son expérience de la guerre. Est-ce que cela suffirait à son petit-fils pour comprendre que mettre un pat de côté et oublier ses idéaux républicains et révolutionnaires était la meilleure chose à faire ? Ce n'était pas dit, mais en même temps, il ne se voyait pas refuser une telle proposition. Qui sait si elle ne serait pas bel et bien susceptible de faire une véritable différence ? Et dans ce cas, il ne devait surtout pas passer à côté de cette chance, ce serait une véritable erreur.

-J'ignore si cela suffira à le convaincre, mais si vous acceptez de faire cela pour moi, je vous en serai éternellement reconnaissant. Toute parole venant de moi perd automatiquement en valeur, il n'en sera pas forcément de même vous concernant. Oui, c'est une excellente idée.

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Il était difficile, même encore maintenant, pour Gillenormand d’accepter qu’il avait si peu d’influence sur son petit-fils, à plus forte raison qu’il l’avait élevé et avait pris soin de lui comme s’il était son propre fils. Bien sûr, c’est l’apanage de tout individu de défier l’autorité parentale, mais dans le cas du jeune homme, on ne pouvait certainement pas parler d’une passade ou d’une crise existentielle qui finirait par se résoudre d’elle-même. Preuve en était que même de retour au sein de son foyer, son animosité était demeurée identique. Gillenormand incarnait tout ce qu’il détestait, et son père décédé, qui aurait sans doute été bien moins admirable à ses yeux s’il avait toujours été en vie, représentait, à contrario, tout ce qu’il aspirait à être un jour. C’était quelque part compréhensible, mais c’était éprouvant, et plus Gillenormand avançait en âge, plus il redoutait de ne jamais trouver le moindre champ de réconciliation avec Marius.

Alors même si c’était une chose qu’il n’aimait pas entendre, il acceptait de reconnaître la chose pour ce qu’elle était, et en effet, il était, aux yeux de Marius, l’ennemi à plus d’un titre, et toute communication avec lui était devenue impossible, du moins lorsqu’il fallait toucher aux sujets les plus sensibles. Et comment faire autrement que de ne serait-ce que les effleurer, après tout. Cela paraissait indispensable, n’est-ce pas ? Il fallait au moins cela, du moins, pour que la situation s’apaise un minimum. Alors oui, passer par une tierce personne lui semblait être la dernière solution à sa disposition, et que David se propose de l’aider et de parler à son petit-fils, c’était une chose qui le touchait. Allez savoir si cela changerait quoi que ce soit, mais c’était toujours mieux que d’attendre, en toute impuissance, que quoi que ce soit ne se produise, n’est-ce pas ?

- Je vous remercie, mille fois. J’ignore si cela portera ses fruits, mais votre intervention pourrait bien m’être d’un grand secours quoi qu’il en soit, alors je ne saurais que vous en être reconnaissant. Je me chargerai de provoquer votre rencontre, si cela vous convient. Il lui adressa un sourire. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, mais je crains fort que mes vieux os exigent du repos, il va me falloir prendre congé de vous.

Il n’aimait pas causer ce genre d’impolitesse à ses interlocuteurs, mais ce n’était pas de la mauvaise volonté de sa part, c’était juste un fait. Il était épuisé, et il avait grand besoin de prendre un peu de repos, à présent.

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