« Misérable enfant dans la gloire de ses quinze ans - Azelma Thénardier »

Née aux chandelles de l'auberge des Thénardier, Azelma, petite fille aux cheveux ardents et aux yeurs porteurs d'un fort délicat espoir, est la deuxième et plus jeune fille du couple d'aubergistes installé dans quelque quartier populaire de Paris. Tout comme sa malheureuse sœur aînée, cette enfant a vu les bonheurs lui tourner le dos, au même titre que la chance et tous les privilèges qu'elle a un jour pu espérer. Peu à peu, le désir sincère dont scintillaient ses grands yeux clairs s'est éteinte, laissant place à une nuit perçante qui n'exprime plus qu'une méfiance farouche, couronnée d'une bien pathétique et ironique innocence. Enfant Thénardier, enfant vouée à rien. Sans vrais parents et sans vraiment de famille, en grandissant, Azelma n'a nourri de cœur et d'affection que pour sa sœur aînée, Éponine, avec laquelle elle a toujours su se montrer tristement solidaire et misérablement complice. Ensemble dans leur malheur commun autant que dans leurs chagrins respectifs, voilà ce que sont les pauvres filles Thénardier.

Et puis, il y a eu Cosette. Cosette, cette fleur de blondeur, cette jeunesse ensoleillée, arrivée alors qu'elle était encore au berceau, tétant avidement sa mère qui l'a confiée à la femme Thénardier, pour des raisons que nul enfant ne pouvait encore comprendre. Azelma l'a haïe, dès le premier instant et ce jusqu'au dernier, même si avec le temps, cette haine s'est estompée en un mépris monotone et las. La cadette des Thénardier n'a jamais eu de véritable affection maternelle. Mais comme tout enfant, elle en avait diablement besoin. Voir cette petite Cosette, ce nourrisson inconnu à la pureté charmante, venir lui prendre le peu d'amour que la mère Thénardier avait à offrir, c'était là un bien triste et au fond, compréhensif motif de répulsion. Azelma a été privée du peu de chose qu'elle a pu espérer avoir, et elle en tient Cosette, cette infâme et innocente Euphrasie, pour seule véritable responsable. Mais Cosette n'est plus -du moins, plus des Thénardier. Elle a été emmenée par un homme, un fort gentil et aimable homme, qui lui promettait une vie meilleure et de bien jolies poupées. Au fond, Azelma aurait aimé être à sa place. Partir en étant protégée, être libérée au profit d'une vie meilleure.
De Causette, il ne reste à Azelma qu'un vague et amer souvenir. De cet homme qui l'a emmenée, un rêve si lointain qu'il n'est semblable qu'au songe d'une nuit froide et silencieuse. Le Soleil se lève toujours, et ses pensées se dissipent. La survie est sa seule préoccupation, elle qui ne rêvait que d'un brin de bonheur, un peu de rosée sur son âme aride.

Elle traîne, tantôt pieds nus, tantôt humblement chaussée, dans les rues de ce Paris qui change et qui s'illumine. Pour elle, Paris n'est que ténèbres -une unique et sombre rue qui n'a plus rien d'un labyrinthe. Lorsqu'elle erre parfois des jours entiers pour accomplir une énième malsaine commission lui ayant été confiée par son père, elle ne se perd plus. Et lorsqu'elle se perd, elle ne ressent ni tristesse, ni inquiétude. Azelma observe, Azelma entend mais encore et surtout, Azelma est bien trop fière et bien trop obstinée pour se résoudre à s'avouer vaincue. Si elle se rend à une évidence, elle en rit; et si elle tombe sur quelque chose qui lui déplait, elle le contourne.
À force de ne connaître que galères, Azelma a fait des misères ses moments de repos. Le froid et la faim, elle a connu et connaîtra sûrement toujours -elle s'y fait, un peu du moins, et pense. Une grande penseuse -bien plus réfléchie qu'elle n'y parait et que ce que quiconque se résignera à avouer. Elle rêve, elle imagine, elle s'invente des réalités qui n'existent que dans les nuits bien trop courtes, et qui s'évanouissent au lever du Soleil pacificateur. Azelma est caractérielle et sournoise -les problèmes se sont chargés d'aiguiser son intelligence et sa débrouillardise. Maintenant qu'elle a vu le pire, elle attend de voir le meilleur pour pouvoir y croire, ne serait-ce qu'un tout petit peu.

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