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ouison aurait de bonnes raisons de lui en vouloir, ou de pointer du doigt ses erreurs. Après tout, lui-même ne réussissait pas à s'empêcher de le faire, mais il n'y avait rien de cela. Elle lui assurait à la place qu'elle savait très bien pourquoi il avait voulu la mettre à l'écart... en effet, elle devait être bien placée pour en avoir conscience à l'heure actuelle, elle qui avait été au coeur des événements. Mais il n'avait pas le sentiment quecela l'ait inquiétée ou dissuadée en quoi que ce soit. Si Enjolras n'avait pas perdu foi en ses convictions, il avait en revanche peut-être en partie perdu foi dans ses méthodes et surtout dans sa légitimité réelle... ce ne semblait pas être son cas. Quelque part, c'était rassurant.

De manière générale, il s'attendait à recueillir les foudres de ceux qui avaient survécu, et c'était normal. Lui-même s'en voulait terriblement et avait toutes les peines du monde à ne pas se reprocher ce qui était arrivé, alors il ne serait pas réellement surpris qu'on l'accable de reproches à son tour. Il était prêt à les entendre. Il endossait une immense part de responsabilité pour ce qui était arrivé, et cette pensée le torturait. Ce n'était pas pour autant l'angle  que choisissait d'aborder Louison. Non, à la place, la jeune femme lui demanda si elle pouvait se joindre aux prochaines réunions. Il est certain qu'il ne se voyait plus le lui refuser, à présent... Mais... Il y avait un mais, bien sûr. Car en effet, la question se posait bel et bien : y aurait-il encore des réunions des Amis de l'A B C ? Il était bien incapable de répondre à cette question à l'heure actuelle.

Le combat ne pouvait pas s'arrêter ici et maintenant... mais en même temps, quelle légitimité lui restait-il ? Serait-il capable d'assumer un nouvel assaut aussi suicidaire que le précédent, de perdre d'autres de ses frères d'armes alors que tant d'eux déjà avaient péri sur les barricades ? La réponse semblait au fond évidente. Non, il ne s'en sentait plus capable du tout. Et en même temps, il se sentait tout aussi incapable d'abandonner et de faire marche arrière. Il lui était impossible d'envisager de faire preuve de tant de faiblesse.

-Je l'ignore, répondit-il honnêtement. Il est trop tôt pour en décider.

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e qu'on ne pouvait clairement pas ôter à Louison Bahorel, c'était son aplomb, pour le meilleur comme pour le pire... Mais Enjolras était définitivement la dernière personne à avoir la légitimité de le lui reprocher au regard de ses propres méthodes... Lui-même faisait généralement preuve de cette verve, de cet enthousiasme, qui jamais ne toléraient que l'on y contrevienne. Il n'était donc personne quand venait le moment de reprocher ce trait de caractère qu'il espérait à d'autre... ou avait espéré à d'autres en tout cas, Grantaire en tête et Marius aussi, parfois.

Elle répondait par un "sans doute" à ce qui était aux yeux du jeune révolutionnaire quelque chose d'absolument certain. Oui, peu importe les décisions qui devaient être prises, ce n'était pas le moment. Pour l'heure, il fallait que chacun enterre ses morts et parvienne à en faire le deuil, c'était ce qui importait, au-delà d'absolument tout le reste. Seulement, quand le choc de ce combat échoué serait passé, ils pourraient envisager d'autres solutions, ils pourraient se tourner vers l'avenir, envisager d'autres perspectives. C'était simplement un moment qui n'était pas encore arrivé.

Avec aplomb, la jeune femme se positionna face à lui, prit soin de soutenir son regard. Il y avait dans ses yeux une lueur déterminée qu'on était d'ordinaire habitué à voir briller dans les yeux. Ceux qui admettaient que Louison aurait fait une parfaite Enjolras au féminin avaient sans doute raison. A l'heure actuelle, en tout cas, Louison était sans doute plus Enjolras qu'Enjolras lui-même ne l'avait jamais été... et avait peine à l'être à l'heure actuelle. Elle savait ceci dit trouver les mots pour le faire réagir, en effet... Elle avait utilisé des mots clés, qui forcément trouvaient un écho en lui. Il ne fallait pas abandonner. Il ne pouvait pas abandonner.

-Je n'ai pas dit que j'abandonnais, répondit-il presque du tac au tac. Mais de toute évidence, je ne peux pas laisser une situation comme celle-ci se reproduire.

Là-dessus, tout le monde sera d'accord. Il allait falloir, vraiment, qu'ils se mettent d'accord sur des méthodes différentes, qu'ils agissent d'une tout autre manière... quils prennent le temps de bouleverser les conscience sans réduire drastiquement leur nombre.

-Et il est encore trop tôt pour décider de quoi que ce soit.

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a réponse de Louison surprit un peu Enjolras. Dans le ton qu'elle employait, dans la façon qu'elle avait de s'exprimer, il était assez décontenancé de découvrir un peu de lui-même... Et il ne savait pas si c'était une bonne chose, puisqu'il était loin de concevoir entièrement encore que son comportement ait pu être le plus approprié à l'heure actuelle. Lui, était tenté de penser qu'il fallait laisser à la situation le temps de décanter. Tant que tout le monde n'aurait pas eu le temps de faire son deuil et de se remettre de la tragédie, il ne semblait pas avisé de revenir à la charge.

Mais Louison lui opposait des arguments dont il admettait sans mal la justesse. La vérité, c'est que si personne qu'il ait connu n'avait péri au combat, si tous ces morts avaient été des anonymes, si un autre avait mené l'insurrection à part lui, il aurait été pressé de venger ces hommes et ces femmes mort au nom de la révolution et des valeurs d'une république pas encore éteinte. Lui qui observait sans cesse qu'il fallait distinguer l'émotionnel, le personnel, et les fins plus importantes qu'il défendait, il semblait épouser ses propres travers. Fallait-il qu'il l'admette ? Louison avait raison. C'était maintenant, tant que le souvenir du sang versé restait frais dans les mémoires, qu'il fallait intervenir. Mais lui, avait-il encore les épaules ?

Il n'en était pas sûr. Louison semblait pouvoir mieux que lui faire entendre la voix des révolutionnaires. Mais c'était sa voix qu'on écoutait jusqu'alors, en entendraient-ils une autre ? Devait-il laisser quelqu'un prendre sa place ? Peut-être, mais il n'en était pas capable, tout coomme il ne serait pas capable de rester sur le côté, aujourd'hui moins qu'hier.; Même si la douleur était puissante, et même si elle l'empêchait de raisonner de façon convenable.

-Et que suggères-tu, alors ? demanda Enjolras d'un ton qui dissimulait à dessein le fond de sa propre pensée.

Louison était une jeune femme intelligente, et qui avait de la suite dans les idées, à l'instar de son frère. C'était une chose dont il n'avait jamais douté, mais il était pourtant vrai qu'elle ne lui avait jamais vraiment laissé l'occasion de s'exprimer jusqu'alors. Et il était curieux d'entendre ce qu'elle avait à dire.

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i Louison n'hésitait pas à le bousculer un peu durant cette conversation, Enjolras aurait bien du mal à le lui reprocher, à vrai dire. Il avait besoin de ça, il avait besoin d'être malmené... dans le bon sens du terme. En d'autres circonstances, s'il était encore un peu... semblable à ce qu'il était avant, il ne supporterait sans doute pas le ton directif de la jeune femme, même si dans les fond, elle ne lui donnait pas des ordres mais plutôt des conseils qu'il serait bien avisé de suivre. Mais là, tout de suite, en vérité, il avait besoin de cela, que d'autres lui donnent leur avis sur la manière dont il convenait qu'il agisse, car s'il avait longtemps cru savoir précisément ce qu'il fallait qu'il fasse ou non, il n'était plus sûr de quoi que ce soit à l'heure actuelle. Suivrait-il à coup sûr les recommandations de la jeune serveuse ?

Cela n'avait rien de certain, mais déjà, il acceptait de les entendre, et c'étaiit un excellent début. Car s'il était une certitude, c'est qu'il ne pourrait éternellement se morfondre : cela ne ferait pas revenir tous ceux qui avaient péri au combat, et cela n'aiderait pas la cause qu'il continuait de vouloir défendre corps et âme. Peut-être avait-il un peu perdu la foi, il devait bien le reconnaître, mais l'insurrection n'avait pour autant pas entamé ses convictions. Et pour escompter le moindre progrès, il allait falloir qu'il accepte de se reposer, ne serait-ce qu'un peu, sur elles, il s'en rendait bien compte.

L'idée de Louison, après tout, n'engageait à rien sinon à ne pas baisser les bras, à ne pas baisser les armes... Et il le voulait. Organiser la réunion des survivants, laisser chacun s'exprimer, attendre de savoir ce que les uns et les autres auraient à dire.... Prendre une décision commune : accepter en somme ce qui avait toujours été : il n'était pas la tête d'une gigantesque créature pensante, ils avaient tous leur mot à dire et leur rôle à jouer. Il fallait simplement... qu'il accepte de déléguer, même si cela paraissait proche d'impossible à l'heure actuelle. Laisser les voix de chacun s'exprimer, c'était sans doute la moindre des choses qu'il puisse faire en effet, même si pour l'heure tout lui semblait difficile voir inatteignable, épuisé qu'il était.

-Tu as sans doute raison, reconnut-il alors simplement. Mais il est encore trop tôt, je crois.

L'ennui, c'est qu'il serait sans doute toujours trop tôt à ses yeux. Comme il l'avait déjà dit, quand Louison, elle, soutenait que c'était le moment idéal.

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ien sûr, au fond, Louison n'apprenait rien à Enjolras que ce dernier ne sache déjà pertinemment, mais il avait besoin d'entendre ces mots, car de lui-même, il ne parvenait tout simplement plus à raisonner convenablement, il n'y arrivait pas. Il y avait un fossé entre ce qu'il avait conscience de devoir faire et ce qu'il se sentait capable et surtout légitime de faire en réalité. Il se sentait terriblement mal, il se sentait démuni, et c'était vrai, il avait besoin qu'on le bouscule un peu. Peut-être qu'il en attendait trop des autres, peut-être qu'il inversait les rôles, mais peu importe, il ne se voyait pas prendre les directives.

C'était plus fort que lui. Il donnait peut-être l'impression de s'apitoyer. Peut-être qu'il s'apitoyait vraiment, mais il avait du mal à agir, réagir différemment. C'était plus fort que lui.

Elle avait raison, évidemment. Le meilleur moment, le seul bon moment était effectivement celui que l'on choisissait. Ce n'était pas chose facile que de l'admettre, mais c'était la vérité, pourtant. Le meilleur moment, oui, serait celui qu'il déciderait, qu'ils décideraient tous d'un commun accord. Maintenant, ça pouvait être trop tôt, mais ça pouvait être également trop tard. il fallait qu'il se pose moins de question. L'important, l'essentiel, c'était d'agir. Il était hors de question que tous leurs camarades soient morts en vain, il était hors de question de se morfondre éternellement. Mais il leur fallait tirer les leçons de leurs erreurs.

Une première réunion, sans forcément d'objectif sinon celui de se retrouver et de réfléchir, ce serait une très bonne chose. Oui, ce n'était pas pas le temps qui passait qui allait honorer la situation, ce n'était pas le temps qui passait qui allait rendre hommage à ses frères d'armes. Mais c'était un peu ça, le problème, il ne savait pas vraiment ce qui allait être susceptible de lui rendre hommage ou non.

-Je regrette de ne pas avoir accepté de t'écouter plus tôt, répondit Enjolras avec un fin sourire. J'en aurais bien eu besoin. Et il en avait encore besoin maintenant, en réalité. Même davantage. Au moins, il faisait face à ses erreurs. De jugement. Ses erreurs tout court. Ce n'était définitivement pas un mal. Merci.

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uand bien même Louison prétendait qu'il n'avait pas à la remercier, Enjolras n'était pas le moins du monde de cet avis, et pour cause, les circonstances étaient à des pensées bien négatives, à des considérations terribles allant du deuil jusqu'aux remords, mais s'il fallait que s'en dégage ne serait-ce qu'un semblant d'émotion positive, il y avait celle-ci : la gratitude. Et cette gratitude était immense pour Enjolras. Il l'éprouvait à l'adresse de tous ceux (et de toutes celles, car contre son avis, il y avait eu des femmes sur les barricades, Louison et Eponine n'en était qu'un exemple - mais fort de sa survivance) qui s'étaient battu à ses côtés, et il estimait nécessaire de l'exprimer.

Des remerciements, ce n'était pas grand-chose. Ce n'était même rien du tout, à vrai dire, mais ça restait le mieux qu'Enjolras puisse avoir à offrir à ceux qui restaient là, debout, à ses côtés, décidés à en découdre quoi qu'il advienne : sa gratitude, sa sympathie, son estime. Et c'étaient ces sentiments profondément humains qui les encourageraient, qui sait, en tout cas il fallait l'espérer, à sortir victorieux de toute situation décourageante. La victoire ne se jugeait pas à un combat, mais à l'issue de la guerre, et il est vrai qu'ils n'avaient fait pour l'heure qu'en animer les soubresauts. Le reste restait encore à venir. Mais quand il serait question du reste, à présent, Enjolras ne l'appréhenderait plus de la même manière, et c'était peut-être pour le mieux. Oui, Louison méritait très largement ses remerciements, quoi qu'elle puisse en dire ou en penser.

Il songea à lui répondre, mais elle reprit la parole avec cette verve qui avait longtemps été la sienne à lui. Et il ne pouvait pas lui reprocher, pas plus qu'il n'avait le sentiment qu'elle empiétait sur son territoire. Au contraire, il sentait bien qu'il avait besoin, profondément, viscéralement, de ce qu'elle daignait lui apporter, lui offrir. Ce n'était pas une chose contre laquelle il devait lutter, c'était une chose qu'il devait au contraire accepter. Dans tous les combats à venir, l'entraide serait une chose primordiale, et c'était ce qu'ils étaient à même de s'apporter. Il s'épargnerait bien de devoir rassembler les troupes. Si Louison avait le coeur de le faire pour lui, alors il n'allait pas refuser cette main tendue.

-Si tu veux bien faire ça pour nous... Il allait dire pour moi, mais cette considération égoïste irait à l'encontre de tous ses préceptes. Alors j'accepte.

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