L'essentiel en enfer est de survivre [pv Marius :33]

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lle avait sombré dans l'inconscience. Combien de temps ? Elle ne saurait le dire, trop longtemps, sans doute. Quand elle s'était réveillée enfin, elle était à nouveau dans son lit (pour peu que l'on puisse appeler cela un lit) de la masure Gorbeau. Elle avait baissé les yeux sur sa main meurtrie... mais il n'y avait rien à voir, rien d'autre qu'un moignon qui empestait la mauvaise médecine. Son père lui avait passé le plus prestigieux des savons dès lors qu'elle fut en mesure de l'entendre. Elle n'imaginait pas qu'il se soit inquiété du danger qu'elle avait rencontré, en revanche, une enfant à qui il manquait une main lui devenait tout à coup bien moins utile. Elle avait supporté les coups et remontrances en les entendant à peine au bout du compte, l'esprit dans un épais brouillard. Elle réalisait à peine ce qui s'était passé, elle se souvenait à peine de ce qui était arrivé. Elle était épuisée, incapable... Chaque mouvement douloureux, chaque pensée éprouvante.

Elle avait voulu sortir de son lit, ne serait-ce que pour voir Marius, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il allait bien, q'il était en vie. Mais chaque fois qu'elle tentait de s'extirper de sa couche, la douleur l'élançait terriblement, et il lui devenait impossible d'esquisser encore le moindre geste. Pourtant, si elle poursuivait ainsi, si inutilement, elle ne tarderait pas à être mise à la rue. Elle ne savait même pas ce qui avait motivé ses parents en premier lieu à la ramener... Ponine, au fond d'elle, voulait croire à un reliquait d'amour maternel de la part de la Thénardier, qui l'aurait encouragée à la garder... mais il y avait peut-être là d'autres considérations prises, et qui lui échappaient. Elle n'en savait rien. Là encore, elle était beaucoup trop épuisée pour y réfléchir plus avant. A peine ouvrait-elle les yeux qu'ils se refermaient presqu'aussitôt. Elle perdait souvent la notion du réel. La fièvre la faisait délirer parfois.

Si bien que quand on frappa à la porte, elle ne fut pas certaine tout de suite que c'était bel et bien le cas. Rarement l'on frappait à leur porte quoi qu'il en soit. Malgré tout, elle s'entendit articuler un faible "entrez". Pourtant, elle ne voulait voir personne. Enfin, presque personne, et c'était ce "presque", sans doute, qui avait motivé ces mots prononcés si bas qu'elle ne fut pas sûre qu'ils soient entendus. Pourtant, la porte s'ouvrit, et Ponine crut à un mirage. Etait-il bien là ou était-elle en train de se l'inventer ? Elle n'était plus certaine de quoi que ce soit. Mais Marius lui semblait bien réel, là, dans l'embrasure de la porte. Et elle, elle se sentait trop faible pour se lever et l'acceuillir.

-Vous êtes vivant...

Ce fut tout ce qu'elle fut capable d'articuler, mais avec un soulagement si profond qu'elle eut tout à coup la sensation d'aller mieux, déjà.

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ui, elle était vivante... Il lui avait semblé être plus morte que vivante ces derniers temps, mais à présent qu'elle savait que Marius était toujours en vie, elle était certaine de rester du côté des vivants. Bien sûr, elle ne se sentait pas bien, bien sûr, elle avait toujours mal, mais c"était comme si une force nouvelle la poussait du meilleur côté de la barrière. Pour lui, elle survivrait. Même s'il n'avait pas besoin d'elle, lui, pour survivre. Elle se doutait que son épouse et son richissime grand-père avaient pris tout le soin du monde à le remettre sur pied, et elle en était heureuse pour lui, vraiment. Elle voulait le bonheur de Marius, et puisqu'il était toujours en vie, il allait pouvoir vivre dans la joie. Elle ne saurait rien demander de plus. De plus, il était venu la trouver. Il aurait pu décider de l'ignorer, il aurait pu choisir de la croire morte et ne plus se soucier d'elle, et pourtant il était là. C'était un immense cadeau pour elle.

-Ce n'est rien, monsieur Marius, le rassura aussitôt la jeune femme quand le regard du jeune étudiant tomba sur son moignon.

Bien sûr, il l'avait remarqué. Et elle ne voulait pas qu'il s'en inquiète. Bien sûr, elle aurait voulu ne pas perdre sa main, mais il aurait pu lui arriver bien pire en réalité. Elle était là, et si sa main trouée, sa main perdue, lui avait permis de sauver le jeune homme d'une mort certaine, elle serait prête à recommencer, à se priver de ses deux mains, de ses deux pieds s'il le fallait, juste pour qu'il puisse survivre. Juste pour lui.

-Faut pas vous en faire pour moi, ajouta-t-elle, et faut pas vous en vouloir non plus.

Parce qu'elle s'en doutait, elle le connaissait tout de même très bien, elle devinait qu'il culpabilisait, qu'il devait se sentir responsable de ce qui lui arrivait. Alors oui, c'était vrai, elle ne se serait jamais engagée sur les barricades si ce n'était pour Marius, elle ne se serait jamais pris une balle en pleine main si ce n'était pour Marius, mais à aucun moment elle n'avait le sentiment d'avoir fait le mauvais choix pour autant. Elle avait agi en son âme et conscience, et elle était sincèrement heureuse des choix qu'elle avait faits.

-Vous êtes en vie, vous allez bien, c'est tout ce qui compte pour moi.

Et elle n'avait plus de raisons de s'en cacher. Il savait. Elle avait à peine le souvenir de ses aveux, mais elle savait tout de même qu'elle les avait faits. Elle était amoureuse de lui, et elle le lui avait dit. Mais quelle importance, maintenant ? Il savait et il n'avait pas pas décidé de la laisser de côté pour autant.

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ponine, en lieu et place de répondre une nouvelle fois à Marius que ce n'était rien, quand Marius s'excusa auprès d'elle, se contenta de lui adresser un sourire qu'elle voulait réconfortant. La jeune femme savait pertinemment que Marius, son beau Marius, était désolée. Elle l'avait aimé et l'aimait toujours en grande partie pour cette raison : parce qu'il avait l'âme brave et pure. Il était quelqu'un de bien. Elle ne voulait pas qu'il s'inquiète et culpabilise, mais elle savait qu'aucun des mots qu'elle pourrait bien prononcer ne le dissuaderait de le faire, parce qu'il s'en voulait de son geste, de ce qui aurait dû être son sacrifice.

Il ne pouvait pas comprendre qu'elle était incapable de regretter quoi que ce soit, malgré la douleur, malgré cette main en moins. Elle sacrifierait son autre main si elle le pouvait, si cela devait lui permettre de protéger celui pour qui son coeur battait. Il avait survécu aux barricades, et elle savait que son geste, à un moment du moins, lui avait sauvé la vie. C'était le plus beau cadeau qu'il pouvait lui offrir, celui d'être en vie, celui de respirer toujours, et elle n'attendait ni excuse ni remerciement. Il était là... et le simple fait qu'il le soit lui faisait tant de bien.

Même si pour la peine, Marius se sentait la nécessité de parler de ses confidences, celles qu'elle lui avait faites au moment où elle avait cru ne jamais s'en sortir, à l'heure où elle avait pensé succomber à ses blessures. Elle ne lui en voulait pas de revenir sur ces déclarations. Elles avaient été prononcés, c'était ainsi, elle ne pouvait pas y revenir... et elle ne le regrettait pas, au fond. Elle aurait sans doute dû le lui dire plus tôt, pas parce que ça aurait changé quoi que ce soit, mais pour la délester de ce poids qu'elle avait si longtemps eu sur le coeur.

Si Marius n'avait pas évoqué cette déclaration faite dans ce qu'elle avait cru être un dernier souffle, elle aurait pu douter du fait même que cela avait vraiment eu lieu, du fait qu'elle lui avait vraiment appris qu'elle l'aimait. Dans son esprit, le souvenir était si brumeux qu'il ressemblait à un rêve, mais elle savait qu'il ne mentait pas. Comme il ne mentait pas, bien sûr, en lui apprenant qu'il n'en savait rien. Elle avait bien conscience de cela.

-Je sais..., dit-elle doucement, dans une esquisse de sourire. Vous savez, ça ne change rien, je n'attends rien de vous. Vous êtes heureux et ça me rend heureuse, ça me suffit.

Elle n'espérait pas que Marius lui tombe dans les bras sous le prétexte qu'elle lui avait appris qu'elle l'aimait. Lui aimait Cosette, sa femme. Et elle ne pouvait pas interférer dans un amour tel que le leur.

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a considération de Marius la touchait, lui faisait du bien. Le simple fait qu'il soit là, présent pour elle, attentif, quand il aurait tout aussi bien pu l'oublier et décider de ne plus s'intéresser à son sort pour se concentrer sur ce mariage qui aurait pu s'achever de façon tragique, c'était un cadeau immense qu'il lui faisait. Elle ne pouvait pas prétendre, bien sûr, qu'elle n'aurait pas espéré davantage. Mais elle savait l'accepter malgré tout. Elle savait en prendre son parti. Elle n'avait que cela. C'était le perdre pour de bon ou l'avoir au moins un peu en ayant son amitié, et entre ces deux possibilités, son choix était rapidement fait et était sans équivoque.

Elle afficha une fine et triste esquisse de sourire quand Marius lui assura qu'elle méritait bien mieux que cela. Elle voudrait que ce soit vrai, ce n'était pas le cas. Elle n'était pas méritante. Elle n'avait jamais rien fait d'exceptionnel. Elle n'était ni riche, ni belle, elle gagnait son pain en volant et en trompant, elle avait oublié la moralité de longue date. Elle n'avait rien à offrir de bon à un homme, encore moins à un homme comme Marius. Elle ne pouvait pas se leurrer à ce sujet. Même si c'était bien évidemment tentant.

Bien sûr, elle pourrait courir le risque de tomber amoureuse d'un autre. Qui sait si les bas-fonds de Paris ne regorgeaient pas d'homme aux moeurs égales aux siennes, de condition similaire, qui sauraient ne pas être trop regardants avec elle et la prendre comme était ? Il y en avait sans doute, mais elle n'en voulait pas. Et ce n'était pas affaire de ne plus penser plaire, avec sa silhouette rachétique et sa main en moins. C'était seulement qu'elle était dans l'incapacité la plus totale d'oublier Marius. En fait, c'était bien simple. Elle ne le pouvait vraiment pas, et sous aucun prétexte. Elle l'aimait. C'était là, c'était fort, c'était puissant. Est-ce que l'on pouvait vraiment s'arrêter d'aimer les gens que l'on aime ? Ponine était de plus en plus sûre que non. Bien sûr, elle était trop jeune pour se gargariser de telles certitudes, mais c'était justement cette même jeunesse qui faisait qu'elle était incapable à ce jour de dire non à son regard, à son sourire, à sa présence, à sa voix. Et elle ne se voyait les remplacer par rien d'autre, pas même par ceux d'un homme qui saurait l'aimer mieux. Qui saurait l'aimer tout court.

-Le coeur n'est pas un coffre qu'on ferme à double-tour et que l'on enterre, monsieur Marius. Je saurais pas arrêter de vous aimer. Je saurais pas faire. Elle se rattrapa presque aussitôt. Quelle gêne cela devait lui causer. Mais j'veux pas que ça vous embarrasse !

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onine sentit sa peau frissonner quand Marius s'empara de sa main restant pour la serrer dans la sienne. C'était ainsi, tout regard, tout geste de sa part, même s'ils ne pouvaient suggérer aucune ambiguïté, produirait toujours le même effet sur elle : les battements de son coeur s'accéléraient, et elle se sentait envahie d'un profond sentiment de joie, à aucun autre pareille, et en cet instant, ça lui faisait un bien fou, ça lui faisait oublier la douleur, qu'elle soit physique ou morale. Cette ridicule pièce qui lui servait d'inconfortable foyer se dissipait dans le brouillard, il n'y avait plus qu'elle et lui, il n'y avait plus que Marius et Eponine, et tout le reste ne comptait plus.

La raison devrait l'inviter à repousser Marius. Elle savait pertinemment que sa compagnie lui ferait plus de mal qu'autre chose, à coup sûr, que ça ne pourrait en rien lui rendre service que de le garder dans son sillage. Elle ne pouvait cesser de l'aimer d'un claquement de doigts, et ce n'était certainement pas sa présence à son côté qui l'aiderait à se guérir de ses sentiments pour lui... mais avait-elle envie de s'en guérir déjà ? Pas maintenant, pas tout de suite. Même si elle ne pouvait pas espérer de sa part ce qu'elle voudrait tant obtenir, elle aimait l'idée qu'il reste auprès d'elle, qu'il l'aime du moins suffisamment pour accepter de rester auprès d'elle. Elle voulait bien grappiller les restes de tendresse qu'il n'était pas occupé à adresser à sa Cosette. Pas parce qu'elle espérait la supplanter, mais parce que quand on vivait de peu, on apprenait à se contenter de peu. Une bref main serrée avait valeur de baiser, puisqu'elle ne pouvait obtenir mieux.

-J'ai pas réussi grand-chose dans ma vie, mais vous sauver, c'est c'que j'ai fait d'mieux. Elle lui adressa un fin sourire. Vous m'devez rien, monsieur Marius. J'le ferai cent fois, de vous sauver, vous savoir en vie et en bonne santé, ça m'rend heureuse, ça me suffit. Vous n'avez pas besoin de rester auprès de moi, j'vous en voudrais pas de partir maintenant, et même de jamais revenir.

Et elle le pensait vraiment, preuve qu'elle l'aimait profondément. Car à quelqu'un qu'elle n'aurait pas tant aimé, elle aurait été incapable d'adresser ces paroles, elle aurait été hargneuse, elle aurait été vengeresse. Il n'en était rien, rien du tout. Elle était heureuse d'avoir Marius dans sa vie, s'il acceptait d'y rester. Elle consentait à le perdre tant qu'il restait heureux et en bonne santé.

-Mais si vous voulez être là pour moi... Elle afficha un fin sourire. Vous savez, j'ai moins mal quand vous êtes avec moi.

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onine se sentit frissonner quand elle sentit les doigts de Marius se resserrer un peu plus fermement autour de sa main. Il ne devait pas avoir la moindre idée de combien ce simple geste représentait le monde à ses yeux. Quand bien même elle ne lui dissimulait à présent plus ses sentiments, elle n'était pas certaine qu'il soit en mesure d'en comprendre l'intensité, et à quel point un seul geste de lui, surtout si tendre et intentionné, pouvait faire une différence pour elle, à tout point de vue. L'entendre lui dire qu'il restait, et le sentir garder sa main dans la sienne, c'était... ce qu'elle connaissait de plus agréable. C'était une illusion, aussi, car Marius n'irait bien sûr jamais renoncer à la belle et parfaite Cosette, mais compter, même de loin, pour le bel étudiant, suffisamment pour qu'il décide de la voir, de l'aider, de la protéger, c'était assez pour qu'elle se sente plus vivante que jamais. Il avait sur elle un pouvoir auquel aucun autre homme, ni aucun autre individu, plus largement, ne saurait prétendre. Avec lui, elle se sentait entière, complète, parfaitement à sa place.

Elle afficha un sourire teinté de tristesse quand le jeune homme reprit la parole. Il avait sans doute raison. Même avant l'insurrection, même quand elle avait eu ses deux mains, elle avait bien eu conscience du fait que cet endroit serait sa perte. Ici, les conditions étaient parfaitement insalubres, ici, c'était un miracle si son moignon ne gangrénait pas, ici, elle mourrait d'une manière ou d'une autre : sous les coups de ceinturon de son père, de faim, de froid, de chagrin. Bien sûr qu'elle avait envie de partir. Et l'invitation de Marius était évidemment très séduisante. Mais elle n'accepterait pas. Et au fond, elle se doutait que même si Marius en faisait sérieusement la demande, il n'avait pas vraiment de doute quant à ce que serait sa réponse.

-Je peux pas partir... Il y a Zelma.

Ce n'était pas sa seule raison, mais c'était la plus logique. Elle ne pouvait pas en effet s'en aller et laisser sa soeur seule avec leurs parents, elle ne pouvait pas l'abandonner à son sort. Qui sait dans quel état elle lui reviendrait ? Non, elle ne le pouvait pas, elle ne le ferait pas.

-Et puis... que dirait votre épouse ?

La belle et charmante Cosette, c'était la raison qui la pousserait le plus à refuser. Non, elle ne pouvait définitivement pas accepter cette proposition, pas pour les voir tous les jours ensemble... Son coeur en serait détruit, elle ne serait pas capable de le supporter. Elle sentait que ce serait trop. Elle serait non seulement un poids pour cette femme, mais en plus, elle la haïrait à coup sûr, de toutes ses forces. Cette femme qui aurait la générosité de l'accueillir sous son toit, Ponine la détesterait. ET ce serait d'une profonde injustice.

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mmener Zelma avec elle, hein ? Quand il le suggérait, ça avait l'air si simple, si évident qu'elle en venait à se demander d'où lui venaient ses réticences, mais il lui suffisait d'y réfléchir un peu plus longuement pour savoir qu'en réalité, elle avait de bonnes raisons de penser que non, ce ne serait absolument pas simple. D'une part parce que lui demander de gérer une seule personne au lieu de deux n'était tout de même pas la même chose, d'autre part parce que Zelma ne voudrait sans doute pas partir, en réalité. Pas qu'elle soit plus heureuse qu'elle de vivre dans l'inquiétude de ce que leur père violent pourrait leur faire subir, mais elle la connaissait assez pour savoir tout de même qu'elle serait loin, très loin d'être convaincue par toute cette histoire. D'autant qu'à ses yeux, Marius était davantage celui qui avait failli prendre la vie de sa soeur que l'homme qui pourrait éventuellement les sauver du sort terrible dans lequel elles se muraient.

Quant au fait de croire que Cosette les accueillerait avec grand plaisir, elle était absolument convaincue du contraire. Elle les accueillerait peut-être, parce qu'elle avait le coeur généreux et s'en sentirait l'obligation morale envers son époux, mais dans le fond, elle n'en serait sans doute pas heureuse. Indirectement, Zelma et elle avaient fait de son enfance un cauchemar. Elles étaient ces "soeurs" qui la regardaient de haut et qui obtenaient tout ce qu'elle-même n'osait pas espérer. Certes, la roue avait tourné et la situation s'était clairement inversée, mais certaines choses ne pouvaient tout simplement pas s'oublier, sous aucun prétexte, et par conséquent, la jeune femme ne pouvait absolument pas ignorer tout ceci. Non, elle ne voulait pas être le parasite qui vivrait aux dépens de ce couple. Elle serait peut-être plus à l'abri, elle vivrait peut-être dans des conditions plus confortables, mais elle serait sans doute encore plus malheureuse. Voir Marius vivre son grand amour sous son nez ne pourrait à l'évidence lui apporter que du chagrin, rien d'autre.

-Je ne veux pas qu'elle se sente redevable envers moi, répondit Ponine du ton le plus catégorique qui puisse être.

Et c'était la vérité, elle ne voulait surtout pas cela. Déjà que sa situation était compliqué, le peu qu'il lui restait était son honneur, et même s'il devait paraître ne ressembler à rien dans ces circonstances, ce n'était pas une chose sur laquelle elle serait capable de transiger.

-Merci pour votre offre généreuse, mais je me dois de la refuser, au risque d'être plus malheureuse encore auprès de vous que je ne le suis ici. Je ne veux pas que votre bonheur me fasse mal, et c'est malheureusement le cas.

Parce qu'elle était jalouse, terriblement jalouse de la belle Cosette, et elle ne pouvait pas lutter contre ça.

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ponine agissait selon son cœur, du mieux qu’elle le pouvait. Elle savait que cette situation, si elle était terriblement difficile pour elle, l’était aussi pour Marius. Ce jeune homme dont elle était tombée éperdument amoureuse était un homme de cœur, un garçon juste et généreux. Ce n’est pas sans raison si la jeune femme avait su développer des sentiments de cette nature envers ce jeune homme brave et généreux : ce n’était pas seulement qu’il était intelligent et bien fait, il avait aussi le cœur sur la main. Elle ne l’aimait que davantage au moment de le voir à ce point intentionné envers elle, mais elle ne se leurrait pas, elle savait qu’il se sentait surtout redevable. Il n’accepterait pas de le penser, mais elle le ferait pour lui : il regretterait tôt ou tard qu’elle ne soit pas morte. Sa culpabilité se serait estompée en même temps qu’aurait disparu son souvenir. Seulement, elle était vivante, bien vivante. Certes blessé et mal en point, mais elle survivrait. Les personnes comme elle, les misérables, les rats d’égouts, ne disparaissaient pas si facilement, et certainement pas sans se battre, c’est une évidence. Eponine Thénardier s’en sortirait, et tant qu’elle vivrait, survivrait la culpabilité du pauvre Marius Pontmercy.

En déclinant son aide, elle pensait les aider tous les deux. Elle, accueillie sous le toit du jeune couple ? Elle ne rendrait service à personne. Du regard, elle suppliait Marius de parler moins fort quand il lui assura qu’il l’aiderait autrement. Ses parents n’étaient pas là, mais elle redoutait par-dessus tout qu’ils soient en mesure d’entendre ces paroles. Car si tel devait être le cas, les conséquences en seraient terribles pour le pauvre Marius. Il ne fallait surtout pas qu’il lui propose une quelconque aide financière. Cet argent finirait forcément dans les poches de ses parents, qui étaient de véritables paniers percés. Alors quoi ? Venir la voir ?

-Je m’en sortirai très bien, vous en faites donc pas, monsieur Marius, fit-elle avec un sourire. Je crains plus rien à présent.

En réalité si, elle craignait tant de choses, mais elle refuserait de parler d’aucune d’entre elles. Hors de question de nourrir la culpabilité de son interlocuteur. Hors de question aussi de bouleverser un quotidien dont elle ne devait pas, plus faire partie, quand bien même il était tentant de tout prendre de lui et de ne rien pouvoir lui rendre qu’il souhaite réellement, pour le plaisir unique, fugace, de l’avoir rien que pour elle.

- Rendez-moi service. Soyez heureux. Et oubliez-moi… Je pense que c’est le mieux que vous puissiez faire. Pour nous deux.

Ce n’était pas ce qu’elle voulait, mais elle estime que c’était le mieux, vraiment. Ainsi, il mènerait une vie paisible et heureuse avec sa belle Cosette. Car quoi qu’il puisse en être, ce qui restait dans le meilleur intérêt de la jeune femme, c’était que l’homme pour qui elle éprouvait des sentiments si forts, celui pour qui elle était prête à se sacrifier, savoure le bonheur qu’elle avait contribué à lui offrir en l’empêchant de mourir fusillé.

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