Le sacrifice est le seul domaine aussi fort que celui du mal. (Ursus)

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rsus avait l'impression que sa vie était comme en sursis. C'était un sentiment qu'il n'avait jamais connu jusqu'alors et qu'il était loin, bien loin d'apprécier. Avant, sa ve était simple, pas réglée comme du papier à musique, certes, mais justement. Il avait prise sur ce qui comptait. Il ne se souciait pas la veille de savoir où il serait le lendemain, et ce n'était pas de la naïveté de sa part pour autant, il estimait simplement, sans faire preuve d'hédonisme, que les grands projets ne servaient à rien. Il avait juste projeté d'être en vie et de gagner son pain. Puis Dea et Gwynplaine étaient arrivés. Au tout début, il avait pensé que rien ne changerait à son mode de vie, ce serait seulement qu'ils le vivraient à trois à présent, mais force lui avait été de déchanter assezrapidement tout de même, parce que s'il avait le contrôle de ses décisions et de sa vie, il ne saurait avoir de contrôle sur la vie de ses enfants... et il ne le voulait pas par ailleurs.

Et donc, son quotidien, qu'il avait appris à apprécier tel qu'il était, avait été bouleversé. Et à présent, il avait conscience d'assister à la fin d'une ère. Il n'était pas simple que de reconnaître, avouer, que ses enfants de coeur avaient été de passage seulement dans sa vie, et qu'il avait fait son temps, mais c'était pourtant la vérité. Dea et Gwynplaine n'avaient plus besoin de lui à présent, et c'était dans l'ordre naturel des choses. Quelque part, Ursus devait se réjouir. Son fils serait heureux, il aurait la richesse et le pouvoir qu'il avait tant espérés. Sa fille serait heureuse, elle aurait l'amour de Gwynplaine, qu'elle avait si longtemps attendu. Lui, il n'avait pas besoin d'être heureux, ni malheureux d'ailleurs. Il allait vivre comme il l'avait si longtemps fait, tout simplement, sans plus de complication.

Mais pour l'instant, ils étaient encore là : Dea, Gwynplaine, la roulotte, il savait la fin imminente, mais il ne goûtait pas encore au changement, uniquement à l'appréhension déplaisante et inévitable de ce changement en question. Et ce n'était pas un sentiment plaisant.

Ursus s'était absenté quelque temps pour retrouver Homo, son loup, qu'il continuait de garder à l'écart de la ville pour ne pas intimider le citadin moyen. A son retour, il retrouva Gwynplaine, dans la roulotte. Il ne s'attendait pas forcément à le voir, il ne s'attendait presque plus à le voir, et cela aussi, c'était difficile, bien plus difficile que ce qu'il daignait bien avouer en temps normal.

-Je viens juste d'arriver, répondit Ursus de son habituel ton bougon. Tu vas bien ? Tu as l'air songeur.

Mais on l'est souvent quand on est laissé seul avec soi-même, ça ne voulait pas forcément dire grand-chose.

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wynplaine lui confirma qu'il l'était bel et bien, "un peu" songeur. Ursus ne pensait pas que ce puisse être bon signe. Certes, songeurs, ils l'étaient tous plus ou moins, et constamment, mais si le jeune homme se permettait de rebondir sur cette affirmation, c'est sans doute qu'elle devait dissimuler autre chose. Ursus pensait bien le connaître. Il faut dire que même si ce n'était pas lui qui l'avait fait, il était quand même celui qui l'avait élevé et vu grandir, vu aussi se développer un caractère qui rendait parfois leurs échanges houleux, mais parce qu'il était au fond plutôt proche du sien, il faut bien le dire. Alors, forcément, et surtout parce que les mauvaises nouvelles (enfin, ça dépendait pour qui) avaient tendance à s'accumuler dernièrement, il était assez inquiet de ce qui allait suivre... Et pour le coup, il allait être servi. Ses présomptions ne seraient définitivement rien en comparaison de ce à quoi il devait véritablement faire face.

Il devait lui montrer quelque chose. Ursus fronça les sourcils, curieux. De quoi pouvait-il s'agir ? Eh bien, de toute évidence, d'une lettre. Et cela ne disait rien qui vaille au saltimbanque. Le dramaturge était bien placé pour savoir qu'un courrier n'avait que de rares occasions d'être de bon présage, encore moins quand il était délivré la mine aussi sombre, et accompagné d'un seul "Il faut que je te montre quelque chose".

Ursus détailla la missive avec attention. Avant toute chose, il y décela le sceau royal. Autant dire que ce courrier tout officiel était dans sa présentation et sa provenance même de mauvais présage. Le visage pourtant relativement assez neutre en temps normal d'Ursus se décomposa à mesure qu'il lisait ce courrier qui semblait d'un coup d'un seul condamner aussi bien Dea que Gwynplaine. Le courrier était adressé à l'attention de la duchesse, cette satanée duchesse qui n'était définitivement jamais très loin. Il s'agissait d'un arrêté royal. Josiane d'Aurevilly devait épouser Gwynplaine, Gwynplaine devait épouser Josiane d'Aurevilly. C'était là la condition "royale" à l'héritage du jeune homme... C'était impossible. Bien sûr, les pensées d'Ursus allaient immédiatement à Déa. S'il lui lisait cette lettre, elle serait tout simplement dévasté.

-Tu ne comptes quand même pas accepter ça ? demanda Ursus en acceptant finalement de lever les yeux vers Gwynplaine.

Il était peut-être encore temps. Gwynplaine pouvait abandonner son héritage et toute vélléité de succession à la famille Clancharlie. Ils pouvaient se façonner une nouvelle identité, reprendre la route, se faire une nouvelle réputation ailleurs, le plus loin possible de cette ville de malheur qui ne leur avait rien apporté de bien depuis qu'ils y avaient mis les pieds. Cette situation était impossible. Accepter que Gwynplaine et Dea lui échappent était une chose, accepter que Gwynplaine échappe à Dea, en revanche, était inacceptable.

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n quelques mots, quelques mots seulement qui n'exprimaient pas une opinion mais un simple et douloureux constat, Gwynplaine confirmait touts les appréhensions d'Ursus. En effet, cette lettre n'était pas un simple morceau de papier que l'on pouvait aisément ignorer, ce n'était pas un ordre distribué au hasard et sans valeur, qui tolérait que l'on passe outre : c'était un arrêté royal. Qui avait valeur d'obligation, de toute évidence. Ursus pouvait tenter de suggérer le contraire, mais si le roi était au courant du retour du fils légitime de Linnaeus Clancharlie, il était sans doute trop tard pour réfuter ce décret, ou renoncer à son héritage. Qui sait quelles imbrications politiques se dissimulaient derrière cette décision. Le saltimbanque n'entendait à la politique que ce qu'il tolérait d'en concevoir, dans sa vision tout à fait nihiliste des choses, mais il ne connaissait pas tout de l'échiquier politique, il ne pouvait pas, d'avance, considérer tous les aspects de la question ou admettre ce qu'ils suggéraient précisément. Une demande royale, et qui finalement n'arrangeait personne.

A quoi bon la fortune de Gwynplaine s'il devait en épouser une autre que Dea ? A quoi bon le mariage s'il scindait pour de bon leur famille ? Ursus avait accepté de s'en aller, il avait consenti à partir, mais c'était à la condition du bonheur de ses enfants. Il affirmait haut et fort qu'il les laissait faire leurs choix, et c'était en partie vrai. Mais il ne pouvait plus vraiment cacher le fait que ce qu'il voulait, avant tout et surtout, ce dont il avait définitivement besoin pour être heureux, c'était de voir ses enfants heureux et épanouis. Et il ne pouvait pas les abandonner à un sort si sinistre à présent. Il ne pouvait définitivement pas en être question.

-Eh bien..., dit Ursus, qui tentait de réfléchir à toute vitesse. Au diable la royauté ! On peut partir, dès ce soir s'il le faut. On reprendra la route, tu changeras de nom, personne ne nous retrouvera...

Est-ce qu'il croyait dans ce qu'il disait ? Pas vraiment, non. Il ne savait pas vraiment si l'on s'acharnerait à retrouver l'homme qui rit ou si on les laisserait partir sans protester, mais il était certain que si on choisissait de les rechercher, le signalement du trio hors du commun serait facile à faire. Une jeune aveugle et un jeune homme au sourire tranché à même la chair. Ils n'avaient aucune chance de passer inaperçus, et bien sûr, par conséquent, toutes les chances d'être retrouvés. Et que se passerait-il alors ? Est-ce qu'on condamnerait Gwynplaine à un sort terrible ? Ou vivrait-il de sa fortune acquise de naissance sans qu'il l'ait su, au bras de cette satanée duchesse ? Et qu'adviendrait-il de Déa ? Oh, il le savait déjà... Déa serait effondrée. Elle ne s'en remettrait pas.

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rsus savait bien qu'elle était insensée, voire même un peu suicidaire, et pourtant, il était très sincère dans sa démarche et de son intention quand il suggérait d'envoyer balader la royauté une bonne fois pour toutes pour aller trouver refuge... allez savoir où, quelque part où ses deux enfants seraient en relative sécurité, où ils pourraient repartir de zéro. Il songea à son ami Valjean, qui envisageait de fuir de l'autre côté de la Manche. Ne pourrait-il pas faire la même chose, avec Gwynplaine et Dea ? Les autorités royales avaient-elle tant besoin de son fils qu'ils iraient le rechercher jusque dans un autre pays ? Seules les circonstances faisaient que Gwynplaine avait retrouvé sa place, une succession de hasard que le saltimbanque détestait tous profondément et sans exception, mais la royauté s'était passé de lui avant, se passerait bien de lui maintenant. D'autant qu'il serait sans doute, avec son visage ravagé, la risée de la cour. Non, il fallait qu'ils prennent les devants, qu'ils s'en aillent, c'était la seule solution, la seule solution valable.

Mais Gwynplaine n'était pas de cet avis. Ses réticences étaient légitimes, bien sûr. S'il devait être recherché, il serait en effet plus que facilement identifiable. Le signalement de la famille étrange qu'ils formaient tous les trois n'échapperait certainement pas à ceux qui les rechercheraient, et tenter le coup, c'était prendre le risque que la situation finisse très mal pour eux trois. En ce qui concernait Ursus, il s'en fichait assez. S'il devait mourir en protégeant ses enfants, eh bien soit, il le ferait. Mais ce n'était pas la même chose pour Gwynplaine ou Dea. Mais qu'ils décident de prendre la fuite ou non, ça ne changeait rien du tout. Les risques seraient là dans les deux cas. Et les insinuations de son fils étaient loin de plaire à Ursus. Il avait envie de s'emporter, de remettre les idées de Gwynplaine en place, mais il connaissait bien assez son fils (et surtout, ils s'étaient suffisamment pris la tête - on peut dire que c'était un exercice quotidien pour eux) pour savoir qu'il n'y entendrait rien. Alors il préférait se servir de l'argument le plus percutant qu'il pouvait avoir en sa possession. Et qui allait de soi, qui plus est.

-Si tu restes ici, si tu te maries à cette femme, Dea n'y survivra pas.

Ce pouvait sembler exagéré, mais Ursus était convaincu du fait que c'était vrai. Lui pouvait partir, et même si ses enfants en souffriraient, ils survivraient à son absence, parce que c'était dans l'ordre des choses. Mais Dea ne savait exister sans Gwynplaine, elle le lui avait laissé entendre plus d'une fois. Suffisamment pour qu'Ursus s'inquiète plus que sincèrement de ce qui arriverait si vraiment les choses se passaient ainsi que le planifiait son interlocuteur.

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wynplaine n'avait eu pour précepte, pendant longtemps, de ne s'inquiéter que de lui-même, et dans des circonstances comme celle-ci, il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il aurait dû s'y tenir, qu'il n'avait pas pris la bonne décision en adoptant Gwynplaine et Dea, pour tous les ennuis qu'ils entraînaient dans leur sillage... Enfin, il faisait mine de se le dire, la vérité, c'est qu'il serait incomplet sans eux, et c'était ce qui le terrifiait, une peur qu'il ne disait pas, parce qu'il n'exprimait jamais aucune de ses émotions : il avait le sentiment déplaisant qu'ils avaient atteint un point de non-retour, et qu'ils n'en reviendraient pas, quoi qu'ils fassent ou décident. Peu importe, à présent, que Gwynplaine accepte ou non son héritage, il y aurait forcément des conséquences, et ces conséquences pèseraient sur eux trois. Gwynplaine et Dea méritait mieux que le sort qui semblait invariablement les attendre, mais comment l'empêcher, comment le remplacer par d'autres perspectives, plus belles, plus sereines ? Ce semblait impossible.

Gwynplaine n'avait malheureusement pas tort. Dans ces circonstances, Ursus n'avait pas la moindre envie de lui donner raison, mais il y était bien, en tout cas en partie, contraint, vu les circonstances : que Gwynplaine choisisse d'accepter son héritage, de devenir un Clancharlie, d'épouser la duchesse ou bien qu'il décide de fuir avec eux, au risque d'être retrouvé, traqué... tué ? Le destin qui se profilait pour eux, et pour Dea surtout, semblait infiniment tragique... C'était comme si la réalité devait rejoindre la fiction. Dans ses pièces, Gwynplaine n'accordait que très rarement des fins heureuses aux personnages qu'incarnaient ses enfants : des personnages qui gardaient la même apparence et le même nom. Une part de lui, en cet instant, se sentait démiurge, oiseau de mauvais augure. Il avait provoqué tout ça. Il était responsable du malheur de ses enfants, et il devrait à la place avoir la responsabilité de leur bonheur.

-Tu es le seul à pouvoir lui apporter quoi que ce soit de bon. Tu es le seul à savoir la rendre heureuse, tu en as bien conscience, n'est-ce pas ?

Ursus devrait sans doute nuancer son discours. Il n'était pas exactement le seul, Ursus avait sans doute ce pouvoir aussi, ou au moins en partie. Mais un pouvoir bien minime. Dea pouvait survivre à l'absence d'Ursus, mais Dea ne survivrait pas à l'absence de Gwynplaine. Ce constat sans doute un peu mélodramatique n'en était pas moins réel, et Ursus n'était tout simplement pas prêt à voir son petit ange dépérir, sacrifier sur l'autel de considérations élitistes qui n'envisageaient les relations humaines qu'en termes de pouvoir et jamais en termes de sentiments.

-Qu'est-ce que tu comptes faire ?

Concrètement, là, maintenant. Ce n'est qu'à partir de là qu'ils sauraient aviser.

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hésitation se lisait de façon évidente dans les traits, dans l'attitude et dans la voix de Gwynplaine, mais ça n'avait rien d'une surprise. L'hésitation était devenue une seconde nature chez son fils de coeur, pour ne pas dire que ça avait toujours fait partie de lui. Gwynplaine avait été toujours torturé, entre son amour pour Dea et sa crainte de ne pas être suffisamment bien pour elle, entre l'appât du gain et ce à quoi il devrait renoncer pour espérer atteindre la lumière. Ces conflits intérieurs ne pourraient trouver de résolution qu'au terme d'un ultimatum, et on y était. Ursus s'était toujours dit qu'un choix radical finirait par s'imposer à Gwynplaine, d'une manière d'une autre. Il ne s'était pas attendu à ce qu'il se présente sous cette forme, c'est évident, et il aurait préféré que le jeune homme bénéficie d'une alternative plus heureuse que celle-ci. Il n'avait aucune envie de voir Gwynplaine acculé de la sorte, même s'il avait pu lui arriver de se dire que le jeune homme mériterait de recevoir la monnaie de sa pièce pour le nombre conséquent de ses indécisions.

Malheureusement, le jeune homme n'en était définitivement plus au stade où il pouvait se permettre encore de tergiverser, non, ce n'était plus possible. Il allait devoir prendre une position, et l'assumer. C'était une position risquée, et il allait forcément perdre quelque chose, d'une manière ou d'une autre, mais Gwynplaine ne pourrait pas tout avoir, il n'avait jamais pu tout avoir, c'était une impossibilité manifeste et l'un des grands drames de son existence, contre lequel, selon toute vraisemblance, il ne pourrait jamais véritablement lutter.

-Moi je le sais. On peut reprendre la route, dès maintenant, fuir cette ville de malheur et partir le plus loin possible, s'arranger pour que personne ne nous retrouve, prendre la route tous les trois.

Laisser Dea et Gwynplaine avait été son intention, mais ça, c'était avant que ces histoires de mariage n'empêchent sa fille de vivre cet amour qui était pourtant l'une des rares choses qui savaient la rendre heureuse. Lui aussi la rendait heureuse d'une certaine manière, il le savait, mais rien de comparable avec ce que Dea éprouvait en compagnie de celui qui faisait battre son coeur.

-On vivrait en fugitif, je reconnais que ce ne serait pas idéal, clarifia Ursus de son ton bougon, comme pour anticiper déjà les remarques de Gwynplaine, mais c'est ce qu'il y aurait de mieux à faire, tu ne crois pas.

En ce qui le concernait, il n'avait absolument aucun doute à ce sujet. Vraiment, le danger serait certes présent, mais le bonheur pouvait être au rendez-vous, alors que dans le cas contraire, il ne pouvait avoir aucune forme de certitude à ce sujet.

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rsus observait son fils de coeur avec attention. Il était bien incapable d'être certain que ses propos aient totalement eu l'impact qu'il escomptait, mais il avait tout de même le sentiment que ses paroles faisaient leur bout de chemin dans l'esprit de Gwynplaine, et ça avait le mérite de le rassurer. Cela semblait vain d'y croire encore, mais il commençait à caresser le rêve d'un véritable retour en arrière. Cela semblait ô combien improbable, mais après tout... qui sait ? Il était bien possible que tout redevienne comme c'était avant, quand il n'y avait qu'eux trois (et Homo), eux trois contre le reste du monde. Quand ilsn 'avaient pas à se soucier de qui que ce soit en dehors d'eux-mêmes. Ursus rêvait de retrouver cet état, de reconquérir ce bonheur passé, en même temps qu'il s'y était refusé parce qu'il savait bien que l'oisillon devait quitter le nid et qu'il était important qu'ils vivent leurs propres expériences. C'était même une nécessité des plus absolues.

Eux trois, sur les routes, comme au bon vieux temps... Ursus avait fini par croire que c'était impossible parce qu'il était convaincu que les rêves de grandeur de Gwynplaine le retiendraient ici. Il n'avait aucun doute quant au fait que c'était ce que Dea voulait, mais il avait eu beaucoup plus de doutes au sujet de son fils de coeur. Maintenant, il admettait de nouveau des possibilités qu'il avait préféré mettre de côté afin de ne pas être déçu par ces dernières. Est-ce que ce n'était pas un risque ? Ne rien attendre de personne était encore la meilleure manière de ne pas souffrir, c'est vrai, mais cette situation l'inquiétait malgré tout. Eux trois, sur les routes, comme au bon vieux temps... oh, comme il voudrait que ça puisse être le cas ! Il aurait le sentiment de respirer de nouveau, d'être à nouveau capable de céder à cet optimisme qu'il reconnaissait pour être terriblement dangereux à bien des égards.

-Oui, tu dois lui parler, en effet, confirma Ursus d'un ton encourageant.

Dans tous les cas, il était important que Dea et Gwynplaine communiquent. La jeune femme ne devait pas être laissée dans l'ignorance. Ce serait beaucoup trop dangereux et compliqué d'agir ainsi, pour eux tous, pour l'équilibre déjà précaire de leur famille... non, ils devaient s'y prendre d'une autre manière, c'était absolument évident, en l'occurrence.

-Si j'étais toi, je n'attendrais pas, d'ailleurs, ajouta-t-il en lui adressant un regard encourageant qui signifiait définitivement qu'il ne devrait pas attendre plus longtemps et parler à Dea directement. C'était clairement la chose à faire. Va la voir, tout de suite.

Ses encouragements ressembleraient presque à un ordre, c'est vrai. Mais il faut ce qu'il faut.

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