La justice s'arrête où la liberté commence. [pv Phoebus]

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es débats avaient été nombreux, bruyants, alcoolisés, mais malheureusement stériles, comme c'était bien souvent le cas. C'était l'un de ces soirs où l'on avait peu parlé de politique, ou toujours sur un ton de harangue, galvanisant peut-être, mais qui ne faisait rien avancer. Oh, il arrivait, bien sûr, que les mots soient élevés, les idées hautes, les ambitions fortes. Mais au cours de cette réunion des amis de l'A B C ci, rien de tout cela ne devait transparaître. Résigné, Enjolras avait, dans un premier temps, cherché à recentrer le débat, à développer ses arguments... tout meneur de troupes et chef de fil qu'il était, sa parole semblait par instants inaudible, étouffée par des rires gras, et l'alcool était alors un empire auquel la plupart se dévouaient plus qu'à la République. Soit. Cela arrivait. Cette soirée serait donc une soirée sans.

Il en fallait toujours, ce n'était en soi pas si grave, mais il en fallait déjà moins pour susciter l'exaspération de celui qui avait depuis bien longtemps sacrifié à sa patrie la moindre considération triviale ou matérielle. Assis à l'angle de la pièce, face à une table et un verre vide, il examinait ce microcosme jeune, où par instants s'observaient toute la hardiesse et la fougue de la jeunesse, et à d'autres toute son inconstance et sa faiblesse. Il préféra, au bout d'un moment, s'abstenir de toute intervention, et se contenta de se mettre à la place de celui qui observe. Il allait leur falloir un événement fort, sur lequel fonder ce propos qui aurait tôt fait de se noyer dans le vin bon marché dont les vapeurs imprégnaient l'espace, mêlées à une fumée épaisse.

À mesure qu'approchait l'aube, les camarades s'en allaient l'un après l'autre. La cacophonie de leurs conversations mêlées n'agressait plus ses tympans. À la fin, ils ne furent plus qu'une poignée, puis il ne resta finalement plus que lui et lui seul. Il était temps pour Enjolras de rentrer chez lui. Il décida tout de même, avant de partir, de boire un dernier verre... bon... en fait, c'était plutôt le premier pour lui, puisqu'il s'était abstenu le temps de la réunion. Plongé dans son verre, au comptoir, il ne vit pas arriver le capitaine de la garde, l'une des dernières personnes avec qui il pourrait souhaiter converser en fin de soirée.

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xception faite de ses camarades (qui chacun à leur manière - Grantaire en tête - étaient ceci dit parfaitement susceptibles de lui faire perdre très rapidement patience), Enjolras était bien loin de n'avoir que des amis. En dépit de ses intentions première, qu'il jugeait profondément humanistes, et donc fédératrices, il était certain que les diverses actions menées par les Amis de l'ABC avaient eu pour effet d'inscrire son nom au nombre de ceux jugés indésirables pour beaucoup. Enjolras n'en faisait pas du tout une affaire, il considérait même cela comme une fierté, à vrai dire. Seule la vérité dérange, c'était du moins ainsi qu'il pensait, et donc, si on estimait son discours et ses actions incommodants, c'est qu'il devait bien y avoir une part d'accomplissement derrière.

Oui, Enjolras avait plus d'un ennemi, et s'il devait citer l'un d'entre eux, passés les grands pontes de ce pays qui étaient forcément prioritaires dans sa ligne de mire, le nom de Phoebus de Châteaupers s'échapperait très facilement de ses lèvres. Pour le nombre de fois où il l'avait fait enfermé, pour ce qu'il incarnait du système et de la société qui ne lui convenait pas et devrait, sans aucun conteste (selon lui) être modifié, pour le bien de tous.

Ses diverses arrestations, Enjolras n'en avait pas honte, bien au contraire, c'était même un motif de fierté à ses yeux. Mais ce n'était pas pour autant qu'il prenait franchement plaisir à se laisser incarcérer (il avait d'ailleurs bien souvent pour usage de se débattre, ce qui avait pour effet immédiat d'augmenter sa peine - ce qui ne l'empêchait pas de réitérer à chaque fois... on ne se refait pas). En tout cas, la dernière chose dont il puisse avoir, en ces lieux et à cette heure, c'était d'une conversation avec cet homme... Phoebus était de ces individus avec lesquels le chef de file des Amis de l'ABC avait fini par admettre qu'il était proprement inutile de discuter, ou même d'essayer. Aucun débat possible. En même temps, avec lui non plus, puisqu'il ne débattait jamais que dans l'optique de convaincre autrui du fait qu'il avait raison, qu'il avait toujours raison.

-Moi qui m'attendais pourtant à ce que vous improvisiez un délit quelconque pour le simple plaisir de m'arrêter, répondit Enjolras. La Justice est si souvent affaire de représailles qu'elle ridiculise la loi qu'elle est supposée faire respecter.

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njolras ne se taisait jamais. Avec lui, il était impossible d’espérer un débat simple, apaisé, ou même une conversation courtoise et légère qui s’épargnerait toute considération d’ordre politique et social. C’était plus fort que lui. Ça n’avait sans doute pas été dans sa nature (même si cela lui plairait beaucoup, personnellement, de croire que l’on puisse naître révolutionnaire… encore que dans ce cas, fédérer ceux qui ne seraient pas dans ce cas à sa cause deviendrait vain), mais les circonstances avaient fait de lui un être fait d’idéaux qu’il n’aimait pas voir contestés, et qui oubliait par trop souvent d’être humain. Il n’acceptait de s’asseoir à la table de ceux qui ne partageaient pas son opinion que dans l’intention de leur en changer. Sans jamais envisager bien sûr de reconsidérer lui-même ses propres convictions. Un homme contrarié et surtout contrariant qui ne pouvait s’adresser au capitaine de la garde sans susciter d’office et à juste titre une exaspération qu’il n’était pas peu fier de provoquer, alors qu’il voyait Phoebus de Châteaupers lever les yeux au ciel.

Il assura ne prendre aucun plaisir à le faire arrêter, et le jeune homme ne saurait en être totalement convaincu. Non pas qu’il soupçonne un sadisme particulier à son interlocuteur, il n’était jamais que l’un des dommages collatéraux d’un système dégradant, mais l’agacement qu’il lui inspirait était si certain (et réciproque) qu’il voulait bien miser sur la satisfaction qu’il pouvait avoir à l’idée de le faire taire, même une fraction de seconde. Même si l’entreprise était évidemment vaine. Plus on cherchait à le museler, plus l’étudiant parlait fort. D’aucuns souhaiteraient certainement que, à force de s’égosiller, il n’ait plus de voix… mais il faudrait sans doute pour cela lui trancher net les cordes vocales.

-Je n’ai jamais prétendu être une victime, répliqua d’office Enjolras, quand bien même l’on pouvait en douter… En l’occurrence, il l’avait déjà constaté, et même auprès des siens, Marius en tête, l’on avait tendance à voir dans une œuvre commune une intention personnelle, comme si une voix devait forcément être égoïste et ne pas savoir s’exprimer au nom d’une communauté. Oui, le peuple était opprimé, et aux yeux d’Enjolras, ce constat n’avait rien d’une complainte, ce n’était jamais qu’une sévère réalité, et qu’il fallait corriger. Vous l’êtes bien plus que moi, ajouta-t-il d’un ton détaché. Le système vous a si bien broyé qu’il a réduit en poudre le semblant de bon sens que vous possédiez sans doute fut un temps.

   


   

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e toute évidence, Enjolras et Phoebus n'avaient absolument pas la même perception des choses, tous les deux. Ce n'était pas une nouveauté, force leur avait été de s'en rendre compte, et ce depuis ce qui devait être le jour de leur rencontre. C'était ainsi, ils ne pouvaient tout simplement pas voir les choses de la même façon, ils en semblaient positivement incapables et quelque part, Enjolras songeait qu'il ne voudrait certainement pas d'un homme tel que son interlocuteur dans les rangs des amis de l'ABC, bien au contraire. Il ne pensait pas que l'on puisse se fier à quelqu'un qui ait su considérer au départ que la justice telle qu'elle était à l'heure actuelle représentée par le système en place puisse être considérée comme fondamentalement juste et donc parfaitement équitable.

Bref, ils n'avaient sans doute rien à apprendre et rien à se dire, et il était fort probable que cette conversation demeure stérile quoi qu'il en soit. Mais cela n'empêcherait pas Enjolras d'insister. Ils étaient bornés l'un comme l'autre, de la même manière. Ce trait de caractère similaire pourrait potentiellement les rapprocher, mais ce n'était pas un seul instant le cas, c'était plutôt ce qui avait très largement le don de les opposer l'un et l'autre... Ce qui avait de bonnes chances de ne pas s'arranger, puisqu'ils étaient proprement hermétiques aux arguments (parfois valides, pourtant) que l'autre avait à leur adresser.

Que Phoebus se prétende maître de ses pensées et de ses idées paraissait particulièrement incohérent à l'origine. Tous, ils étaient forcément dépendants d'un système de valeurs et de pensées qui leur avait été inculqué dès l'enfance de par leur naissance et la société. La révolution, c'était ça, prendre conscience du fait que l'on était enfermé dans ce système de pensée, et essayer de s'en extraire par tous les moyens, en retirant aussi les autres de ce même système.

-Vous ne pourrez définitivement jamais admettre que certains intérêts dépassent l'orgueil humain, n'est-ce pas ? Mais je ne vais pas blâmer une étroitesse d'esprit qui se complaît dans ce qu'elle est. Ce serait une fâcheuse perte de temps que je ne saurais souhaiter à aucun de nous deux.

   


   

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njolras était las du discours de son interlocuteur, pas parce qu'il venait de lui spécifiquement (même si, bien évidemment, cela n'aidait pas), mais parce qu'il l'entendait bien trop souvent. C'était l'argument préféré de ses détracteurs, et il analysait cela comme un pur mécanisme de défense. Puisqu'ils n'étaient pas à même de se remettre en question, c'était sa personne qu'ils cherchaient à remettre en question. Le péché d'orgueil était définitivement celui dont on l'affublait le plus souvent... peut-être que ce n'était pas sans fondement et qu'Enjolras devrait par conséquent se remettre en question, mais il ne considérait pas le moins du monde que ce soit nécessaire. Non, il n'était pas orgueilleux. Et ceux qui voulaient simplifier la situation en prétendant qu'il n'était ici que question du mouvement de quelques étudiants ennuyés qui cherchaient à se faire remarquer n'avait rien à faire du fond et se contentaient de toute évidence, de la forme.

Tout ce qu'Enjolras voulait, c'était effacer l'individu au profit de la masse, et il ne plaçait certainement pas sa personne au-dessus des autres ? En quoi serait-il question d'orgueil ? Parce qu'il croyait dans ses convictions et dans le succès futur de leurs initiatives ? Peut-être... le fait est pourtant que le chef de file des Amis de l'ABC n'y croyait pas totalement. Il ne pensait pas que le groupuscule à lui-seul changerait la face de leur patrie, il estimait en revanche qu'ils pourraient poser un jalon supplémentaire qui encouragerait le progrès. Mais Enjolras estimait que c'était le propre des forces de l'ordre de toujours tout simplifier de la sorte.

-Pourquoi devrais-je seulement m'armer d'autres arguments puisque mes arguments sont les bons ? se contenta-t-il simplement de répondre (ce qui au passage ne devait certainement pas le faire paraître moins orgueilleux).

Il n'estimait pas que le débat ait vraiment du sens ou de l'intérêt quand le parti adverse avait, par nature, tort. Ecouter, c'était d'ores et déjà accorder du crédit à ce qui ne devait en recevoir aucun. Oui, il était catégorique, un catégorique qui faisait face à un autre catégorique. Autant dire qu'ils n'iraient pas loin. D'un autre côté, ce n'était pas comme si Enjolras estimait qu'il soit possible de convaincre un homme tel que Phoebus de Châteaupers quoi qu'il en soit.

   


   

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njolras n'était pas surpris de la réponse de son interlocuteur. Tout ceci ne rimait définitivement à rien, il était certain qu'aucun d'eux ne ferait changer d'avis à l'autre, sans aucun doute possible. Forcément, le chef de file des Amis de l'ABC continuerait de penser que ses idées étaient les seules à être dignes d'intérêt et que toutes les autres n'étaient pas valables.

Et forcément, le capitaine de la garde, drapé dans sa suffisance (que l'on pourrait tout autant reprocher à Enjolras, mais passons), continuerait d'affirmer que ces idées ne valaient absolument rien. Soit... qu'ils restent campés sur leurs positions ne changerait pas la face du monde. Ce qui, en revanche, pouvait changer la face du monde aux yeux du jeune révolutionnaires, c'était justement les idées que son interlocuteur tournait en dérision comme si elles ne voulaient absolument rien dire.

En tout cas, Enjolras ne comptait rien écouter de ce que lui disait son interlocuteur, ça n'avait tout simplement pas la moindre chance de l'intéresser, de quelque manière que ce soit. Il prétendait que les idées révolutionnaires qu'on lui avait inculquées n'étaient même pas comprises par lui. Des deux, il ne pensait pas être celui qui ne comprenait pas, tout comme il ne considérait pas que qui que ce soit lui ait mis de telles idées en tête. Pas sa famille, en tout cas, c'est certain, qui n'appréciait pas particulièrement les décisions qu'il prenait. Il considérait avoir appris à l'école de la vie, et les leçons qu'elle lui avait enseignées étaient précieuses et méritaient que l'on se batte pour elle. Ce qu'il avait la ferme intention de faire, même si ça devait être la dernière chose qu'il ferait. Et d'ailleurs, c'était probablement la dernière chose qu'il ferait effectivement.

-Alors que, bien sûr, la façon que vous avez d'appréhender l'existence et de considérer la société n'est le fruit d'aucun conditionnement social d'aucune sorte, répondit-il simplement, sans chercher à développer davantage son argumentaire.

Car les idées de Phoebus, pour être catégoriques, ne devaient pas venir non plus de nulle part. A la vérité, le jeune homme estimait que chacun était conditionné, d'une manière ou d'une autre, car ainsi la société était-elle ainsi faire. D'où la nécessité de la modifier en profondeur, cela va sans dire.
   
   

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n ne pouvait sans doute concevoir divergences d'opinion plus profondes qu'entre ces deux hommes-là, il était impossible d'envisager que l'un sache faire entendre raison à l'autre, car il faudrait sans doute pour cela modifier des convictions si profondément ancrées qu'elles remontaient à des périodes insoupçonnées de leurs existences... Une fois encore, question d'éducation, de société... de nature humaine, oui, aussi, sans doute, mais pour Enjolras, qu'on le veuille ou non, la nature humaine elle-même était dépendante d'un contexte social. Un même homme ne serait pas le même selon l'endroit et les conditions dans lesquels il serait né. Triste constat, limites du libre arbitre.

Mais il pouvait se défaire de sa condition, c'était là que la liberté entrait en jeu. Encore fallait-il aspirer, ne serait-ce qu'un peu, au changement. Les jeunes hommes bien faits et satisfaits de leur condition ne voyaient sans doute pas l'intérêt de changer le monde, puisque pour eux, tout allait pour le mieux... Et convaincre ces gens-là, Enjolras avait bien dû s'en rendre compte à force d'essais infructueux, revenait à marteler la surface d'une eau lisse de coups d'épées. Tout violent pouvaient-ils bien être, cela ne devait au final aboutir à aucun résultat que l'on puisse considérer comme véritablement probant.

-C'est vrai, je ne suis pas un héros, répondit-il simplement, parce qu'il était las que tous ceux qui s'opposaient en lui l'estiment assoiffés de gloire et d'honneur plutôt que de liberté. Et peut-être me faudra-t-il un jour périr sur l'échafaud. Je le ferai de bonne grâce. Il marqua une pause. Je ne m'étonne pas que vous n'imaginiez pas le monde susceptible de changer. C'est ainsi que pensent ceux qui ne veulent pas qu'ils changent. Mais vous l'avez dit vous-même, un homme reste un homme, qu'il soit né dans la fange ou dans des draps cousus d'or. Et un jour ou l'autre, puisque tous les hommes sont égaux, cela ne fera plus la moindre différence.

Là encore, c'étaient des paroles prononcées avec conviction mais dont il savait la destination vaine. Il pouvait plaider, répéter, s'égosiller, le capitaine de la garde ne chercherait pas à entendre pour autant raison... du moins la raison qu'Enjolras estimait comme tel, et il ferait mieux de gagner son temps ailleurs plutôt que de le perdre ici.
   
   

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njolras n'avait même plus envie d'écouter ce que son interlocuteur avait à lui dire. Pour lui, les paroles du capitaine de la garde étaient tout simplement vides et creuses, rien d'autre. Il était évident qu'ils ne trouveraient jamais un terrain d'entente, et au fond, cela convenait très bien au chef de file des amis de l'ABC, il n'avait en rien envie de partager, ne serait-ce que de loin, les pensées et les opinions de son interlocuteur. A ses yeux, ce serait clairement tomber bien bas, rien d'autre. Absolument rien d'autre. Alors peu importe l'opinion de son interlocuteur. Pour qu'il y attache de l'importance, il faudrait qu'il en attache à celui qui les prononçait, et ce n'était définitivement pas le cas.

Il ne tenait qu'à Phoebus de croire que l'opinion de la masse en colère ne serait pas entendue, que la voix du peuple ne serait pas écoutée, mais il ne tenait après tout qu'à Enjolras de penser le contraire. Il y avait, dans le passé récent une preuve concrète, tangible, de ce qu'un soulèvement populaire pouvait avoir d'impact concret sur l'histoire d'un pays. La révolution n'avait certes pas suffi, mais elle avait déjà posé des bases sur lesquelles à présent la nouvelle génération pouvait se fonder et lutter. Si son interlocuteur ne voulait rien y entendre, c'était son problème.

S'il estimait que sa seule intention était de se faire voir, alors il minimisait clairement l'impact de ce qui était en train de se dessiner. Les amis de l'ABC était un groupuscule actif et bruyant, certes, mais il n'était pas le seul, et si un seul de ces groupes réussissait à se faire entendre, il se ficherait bien qu'il ne s'agisse pas du sien. C'était le résultat qui comptait, pas le processus. Une fois encore, il ne voyait pas ce qu'il y gagnerait en termes d'ego, mais s'il déplaisait à ses détracteurs de lui opposer ce seul argument plutôt que d'admettre le bien-fondé de leur cause, eh bien... c'était leur problème, après tout. Lui préférait se battre pour une cause juste que de tenter de raisonner des personnes naturellement obtues.

-Libre à vous de penser ce que vous voulez, je n'attendrai certainement pas après l'opinion d'un aveugle pour forger la mienne.


   
   

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on, de toute évidence, Enjolras n'estimait pas que son opinion puisse avoir la moindre valeur pour lui. Il estimait que ça devrait être le cas, puisqu'il avait l'audace de penser que son opinion, ou du moins son but final était celui que n'importe quel citoyen français devrait vouloir atteindre, et il considérait qu'en tant que main de la justice, Phoebus devrait être le premier à se sentir concerné et à prêter une attention particulière ce sujet, mais il avait bien compris qu'il était peine perdue que de débattre avec cet homme (dans la mesure où il était également possible d'avoir un débat avec Enjolras, car n'oublions tout de même pas que ce dernier avait peine à entendre n'importe quel point de vue qui s'éloignerait un peu trop du sien).

Alors inutile de s'en donner cette peine. Il ne voulait pas former un seul cercle fermé avec le reste des Amis de l'ABC, ce n'était qu'en rassemblant les masses qu'ils parviendraient bel et bien à faire la différence, à changer le monde, mais ce n'était pas en s'échinant sur un seul individu, fût-il capitaine de la garde, que la situation évoluerait dans le bon sens, alors autant admettre que cette discussion devait toucher à sa fin, et que ni l'un ni l'autre n'en obtiendraient quoi que ce soit, en tout cas pas d'avoir vu son interlocuteur se ranger à l'opinion de l'autre.

En effet, Enjolras aussi considérait qu'ils sauraient bien assez vite qui des deux était le plus proche de la vérité, et forcément, dans son cas précis, il estimait que celui qui détenait la seule et unique vérité, c'était définitivement lui... Forcément, il ne suffisait pas d'un événement, victorieux ou malheureux, pour que cette affirmation puisse véritablement être considérée comme valide, mais en cet instant, ce devait évidemment être plus fort qu'eux.

-Certainement, se contenta de répondre Enjolras, et il n'ajouta rien.

Car il n'avait plus envie de rajouter quoi que ce soit. Pour lui, la discussion était tout simplement close, et il ne demandait plus, à présent, qu'à vaquer à ses occupations sans plus se soucier de celles qui jeune homme. Elles lui seraient toujours réfractaires et antagonistes, et lui ne changerait jamais d'avis. Alors, au fond, quelle importance...

   
   

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