Les réunions des Amis de l’ABC amusaient toujours Grantaire. Oh, sans doute pas comme la plupart des personnes (bon, disons-le clairement comme Enjolras) aimerait qu’il s’en amuse, mais le jeune homme n’avait pas l’intention de changer. Il s’amusait vraiment énormément de les voir tous discutailler sur la manière dont ils devaient agir afin de faire changer les choses. Le pire, c’était sans doute qu’ils s’imaginaient vraiment changer les choses. Oh, Grantaire par moment se disait qu’ils pouvaient très bien y arriver, surtout quand il voyait Enjolras prendre la parole (avec ses belles boucles blondes) et convaincre ses camarades du bien fait de leurs actions. Mais ça n’était vraiment pas suffisant pour qu’il puisse vraiment prendre tout cela au sérieux. Surtout quand il voyait ceux qui suivait le leader des amis de l’ABC. Non mais sérieusement, Pontmercy le cœur tendre qui passe sa vie à rêver de sa donzelle n’est quand même pas si convainquant que ça. Au final, ils ressemblaient quand même plus à une bande de paumé qui ne savait pas du tout où ils allaient. Tous sauf une seule personne évidemment. Et Grantaire n’arrangeait pas vraiment la situation en venant avec si peu de conviction.

En tout cas, ce soir-là, le jeune homme s’amusait bien. Il observait ses camarades discuter, se chamailler par moment, et il en profitait de temps en temps pour en rajouter, tout cela dans une attitude bon enfant. Quelque chose lui disait qu’une personne présente n’allait pas trouver vraiment cette réunion productive, quand lui trouvait que la soirée se passait à merveille. Non vraiment, il ne voyait pas la moindre ombre à son tableau en cet instant précis. Jusqu’au moment où il leva la bouteille de vin qu’il se plaisait à vider pour remplir de nouveau son verre, mais qu’aucun liquide n’en sorti. Bon, bah… il l’avait vidé plus vite qu’il ne le pensait. Ou alors, quelqu’un avait profité qu’il tourne un instant sa tête pour se servir ? Possible, ça n’était pas un souci en soit. Grantaire devrait sans doute se contenter de ça, continuer la soirée sans boire plus de vin, mais ce n’était évidemment pas dans son attention. Il n’allait pas non plus commencer à redevenir sobre pour une réunion des amis de l’ABC. Le jeune homme se leva donc, chercha à prendre du vin sur les tables, mais force lui était de constater que toutes les bouteilles étaient vides. Bon, il ne lui restait donc plus qu’une seule chose à faire. Sans plus prêter attention que cela à la réunion, donc, il se rendit dans le couloir qui séparé l’arrière salle du café Musain, au café lui-même où l’ambiance était bien différente.

« Louison ! Donne-moi ton meilleur vin ma belle ! »

Ce petit nom affectueux n’était là que dans le seul but qu’elle lui donner effectivement son meilleur vin et le plus rapidement possible. Parce qu’il ne pouvait pas non plus s’absenter trop longtemps. Quoi que, à tous les coups, on n’allait même pas voir son absence.

Grantaire afficha un air choqué quand Louison lui demanda en quel honneur elle lui servirait à boire. Il força un peu sur son air choqué d’ailleurs, mais ça c’était sans doute parce que son état d’alcoolisme était quand même assez haut. Bon, il était tout le temps alcoolisé en même temps, il y avait peu de moment où il était sobre avouons-le. En tout cas, Grantaire ne voyait vraiment pas en quoi Louison n’allait pas le servir, pourquoi elle ne s’en ferait pas l’honneur de lui donner son meilleur vin. Mais bon… En un sens, Grantaire devait bien avouer qu’il s’amusait quand même de la situation et du fait que Louisa n’avait pas envie d’accéder directement à sa requête. Mais elle allait quand même le faire, parce que le jeune homme n’avait pas l’intention de lui laisser le choix. Sérieusement ? Il était en réunion des Amis de l’ABC, il n’allait quand même pas commencer à décuver en écoutant les belles paroles de ces utopistes. Il avait besoin de vin !

Quand Louisa lui affirma qu’il n’avait pas de quoi payer, il leva le doigt dans un sourire en coin, avant de commencer à fouiller ses poches. Ce qui lui demanda un peu plus de temps qu’il n’aurait cru à la base. Mais finalement, dans un air triomphant dont il avait le secret, il déposa quelques pièces sur le comptoir. Bon, il n’y avait surement pas assez d’argent pour qu’elle lui donne son meilleur vin cela dit, mais ça n’empêchait qu’il avait quand même de l’argent.

« J’ai de quoi payer. » Décréta-t-il alors, toujours avec un grand sourire sur le visage, avant de reprendre vivement. « Et je n’ai pas assez bu. » C’était un mensonge. Quoi qu’en un sens, Grantaire pensait sincèrement qu’il n’avait pas assez bu, donc ce n’était pas tant que ça un mensonge. Mais il était évident, d’une manière objective, que l’homme avait quand même bu beaucoup trop de vin. Sauf que pour Grantaire, ce n’était jamais suffisant. « Il me faut des forces pour pouvoir retourner là-bas. »

Parce qu’il était évident que Louison était au courant de ce qui se passait dans l’arrière salle du café Musain, même si elle n’avait pas sa place dans la réunion. Pour la simple et bonne raison… que c’était une femme. Bon, bah, il fallait dire les choses clairement non ? Louison était une serveuse, une femme, elle n’avait pas sa place avec les hommes. Même si, en réalité, au vu des convictions des deux jeunes gens, il était évident qu’elle avait sans aucun doute plus sa place dans la réunion que lui. Parce que contrairement à Grantaire, elle prenait les choses aux sérieux. Mais bon, au moment de se battre, il valait quand même mieux être une femme non ? Non, mais c’était ce qu’il pensait.

Grantaire afficha un grand sourire à Louison quand elle attrapa les pièces qu’il venait, par miracle, de sortir de sa poche afin de les ranger dans la caisse et de lui attraper une bouteille de vin. Bon, le jeune homme ne se faisait pas d’illusion, ce n’était sans doute pas le meilleur du Café Musain. Mais ça allait faire l’affaire. Le jeune homme avait envie de boire du vin, alors il allait boire du vin et ça allait forcément lui faire du bien. Même s’il était mauvais. Quoi qu’à ses yeux, très peu de vin était en réalité mauvais (et puis si jamais il n’y avait plus de vin, on trouvait autre chose). Grantaire suivit les mouvements de la serveuse alors qu’elle versait le contenu de la bouteille dans un verre. Parfait, il allait donc pouvoir reprendre des forces afin de retourner là-bas. Dans l’arrière salle du café, où l’attendait cette bande d’étudiant qui avait envie de voir le monde changer, comme d’habitude.

Louison se montra alors plus curieuse, lui demandant ce qu’il se passait là-bas. Grantaire se doutait que la jeune femme aimerait bien savoir un peu plus des réunions des Amis de l’A B C, mais qu’elle n’y avait pas le droit parce qu’elle était une femme. Eh oui, la révolution ce n’était pas une affaire de femme. Il parvenait à entendre la voix de Enjolras quand il pensait ça. Ou alors il l’entendait vraiment ? Pendant une fraction de seconde, il eut presque « peur » que son camarade se trouve derrière lui, près à lui remonter les bretelles parce qu’il avait trop bu. Et il avait trop bu.

« Tu sais bien, ça crie, ça hurle, ça se révolte, ça veut changer le monde alors que c’est encore tout petit. » Bon, en réalité, le jeune homme n’était pas beaucoup plus vieux que ces étudiants, mais quand même. Il but d’un trait son verre de vin, ne cachant pas une grimace quand l’alcool coula le long de sa gorge. « Ça parle, en tout cas, beaucoup. De ce qu’il faut faire, de ce qu’il faut changer. Mais tu sais, à mon avis, rien ne changera. Pas comme ça. »

Il ne devrait sans doute pas parler comme ça, mais en même temps, ce n’était pas réellement une nouveauté que Grantaire ne croyait pas en ces actes, en cette révolution. Il était capable de croire en l’Homme, en un homme, mais pas à cette révolution.

« Ça perd son temps à l’intérieur, voilà ce que ça fait. » Mais il devrait sans doute y retourner, parce qu’il était déjà trop absent. On allait encore dire qu’il venait ici dans le seul but de boire. Tiens, d’ailleurs. « Tu me remplis encore mon verre, ma Louison ? »

Et il accompagna sa demanda d’un large sourire, d’un regard perçant à la serveuse, dans l’espoir qu’elle allait bel et bien remettre du vin dans son verre. Après tout, il lui parlait de l’arrière salle, elle pouvait bien faire ça pour lui non ?

Est-ce que c’était son charme qui avait décidé Louison à remplir de nouveau son verre ? Peut-être, peut-être pas, en tout cas, Grantaire fut ravi de la voir remplir de vin cette coupelle qu’il n’allait sans doute pas mettre longtemps à vider. Quoi qu’il devrait sans doute prendre un peu plus son temps, parce qu’il ne savait pas combien de verre la serveuse allait accepter de lui remplir. Mais en même temps, comment pouvait-il résister au fait d’avoir un verre plein devant ses yeux ? Il avait envie de le boire cul sec, de profiter de cet alcool qu’il parvenait à obtenir. Il pouvait tenter encore et encore de soudoyer la serveuse afin d’obtenir un peu plus de vin. Et si pour cela, il devait lui parler un peu de ce qui se passait dans l’arrière salle, ça ne le dérangeait pas du tout.

En soit, Grantaire ne considérait pas – comme ses camarades – que Louison puisse avoir sa place dans cette révolution (quand bien même il ne croyait pas une seule seconde à cette révolution), mais ce n’était pas pour autant qu’il ne devait rien lui dire si elle lui posait des questions. Et des questions, elle lui en posait bel et bien. Alors qu’il affirmait que ses camarades perdaient leur temps dans l’arrière salle (Enjolras devait être heureux de ne pas le voir perdre le sien en leur compagnie pour une fois, même s’il allait forcément revenir à la réunion – et dans un état qui n’allait pas plaire au chef de fil), celle-ci voulait savoir qu’est-ce qu’il faudrait faire à son avis pour changer les choses. Grantaire ne répondit pas tout de suite, il réfléchit avant de le faire. Ça lui arrivait, par moment, en effet, de réfléchir. Mais ce n’était pas tant parce qu’il comptait répondre sincèrement et donner une vraie solution au monde merdique dans lequel ils se trouvaient (quoi que merdique, c’était tout à fait relatif), mais plus parce qu’il cherchait comment répondre à la jeune femme.

« Pas ce qu’ils font. » Dit-il dans uns sourire, avant de lever le verre plein jusqu’à sa bouche sans détacher son regard de celui de Louison. Bon, d’accord, on ne pouvait pas vraiment dire qu’il répondait comme il le fallait à la jeune femme, mais en même temps il ne voyait pas bien ce qu’il pouvait répondre de plus. Quoi que, il pouvait très bien lui en dire plus, mais il ne pensait pas que ça soit vraiment une bonne chose de débattre avec Louison. Parce que les débats ne se passaient pas dans la grande salle, mais dans l’arrière salle du café Musain. « Il faut peut-être arrête de reproduire encore et encore les mêmes mécaniques. Mais c’est normal, Dieu ne sait pas quoi faire d’autre dès qu’il y a quelque chose qui coince un peu. » L’alcool déliait un peu trop sa langue sans doute, il n’était finalement plus si pressé que ça de retourner dans l’arrière salle. « Alors on lance une révolution, mais ça ne servira à rien. »

Les débats et conversations avaient le don de fatiguer énormément Grantaire, sauf quand il osait croire qu’il pouvait s’amuser quand même. Genre, quand il pouvait discuter un peu avec Enjolras et qu’il s’amusait à le contredire (même si la plupart du temps, il appréciait de pouvoir boire ses paroles). Mais en général, il n’aimait pas débattre et débattre avec Louison, ça ne pouvait que le fatiguer énormément. Non pas qu’il n’appréciait pas la présence de la serveuse, il n’avait rien contre elle et tant qu’elle lui apportait le vin qu’il commandait, il n’avait aucune raison d’avoir quelque chose contre elle. Mais il préférait largement quand Louison se contentait de lui servir du vin sans chercher à remettre en cause ce qu’il pouvait dire.

Elle commença par lui affirmer que les révolutions n’étaient pas veines, qu’elles avaient déjà changé le monde. Ce qu’il devrait comprendre apparemment, s’il n’était pas aveugle. Grantaire appréciait Louison, mais il n’aimait vraiment pas la manière qu’elle avait de le juger, de l’insulter comme elle le fit. Quand bien même, ce n’était pas non plus une grande insulte de lui affirmer qu’il était nihiliste, puisqu’en fait, le jeune homme serait bien incapable de lui donner tort. Mais quand même, ce n’était pas plaisant à entendre, pas plus que sa dernière remarque. Même si, encore une fois, il ne pouvait pas lui donner tort.

« Et être une optimiste comme toi, ça ne sauve pas le monde non plus tu sais ? » Lui rétorqua-t-il un sourire sur le visage, parce que même s’il était touché par les propos de son interlocutrice, il n’avait pas l’intention de le lui montrer. En un sens, la détermination de Louison – parce que là, on ne pouvait pas douter du fait qu’elle était déterminée quand même – avait un peu le don de lui rappeler Enjolras. Elle avait juste moins de belle chevelure dorée que le chef de fil des Amis de l’ABC. « De si belles paroles, de belles convictions... mais en attendant ma belle Louison, tu es ici pendant que les révolutionnaires sont dans l’autre pièce. » Ajouta-t-il en montrant la porte menant dans le couloir conduisant à l’arrière salle de la main. « Mais ce n’est pas grave, tu peux changer mon quotidien en me servant encore du vin. »

Ou pas, puisque le quotidien de Grantaire était clairement de boire encore et encore du vin, jusqu’à plus soif. Quoi qu’il ne buvait pas que du vin non plus ceci dit. Mais pour l’heure, il avait soif de vin et de rien d’autre.

Grantaire ne se rendait pas forcément compte à quel point il pouvait être blessant envers Louison, alors qu’il lui affirmait que sa place ne se trouvait pas dans l’arrière salle du Café Musain auprès de ces révolutionnaires. Mais pour ne pas la blesser, il faudrait que le jeune homme voie en elle quelqu’un d’autre qu’une simple serveuse dans le café. Il savait bien que Louison avait sans doute beaucoup de qualité et il ne pouvait pas nier qu’elle était jolie fille quand même (sans pour autant que cela lui ait traversé l’idée une fois de la courtiser afin d’en faire l’une de ses nombreuses conquêtes). Il se contentait donc simplement d’affirmer une vérité (une vérité vraie), Louison n’avait pas sa place dans l’autre salle. Pas qu’il soit incapable de penser que Louison puisse avoir sa place de l’autre côté de cette porte, mais ce n’était pas comme s’il prenait les décisions. En fait, il n’avait même pas envie de prendre des décisions, il se contentait simplement de se laisser porter.

Louison lui demanda alors s’il n’espérait pas plus pour sa vie. Si ça lui suffisait de résumer sa vie à des bouteilles de vin rouge. Grantaire afficha un sourire amusé aux questions de la jeune femme, parce qu’il ne prenait pas réellement ses questions au sérieux. Il devrait le faire, clairement, sauf qu’il n’avait pas l’habitude de prendre les choses au sérieux.

« Roh, tu exagères, ma vie ne se résume pas au vin rouge. » Même si cette boisson ne manquait pas d’être quand même une grande part de sa vie. Il passait ses journées à en boire et c’était exactement ce qu’il était en train de faire en cet instant précis justement. Et il n’avait pas l’intention de se retenir, il aimait beaucoup trop boire du vin. En quelque sorte, on pouvait clairement dire que sa vie se résumait à ça, mais ce n’était pas tout à fait exact. « Il y a toutes ces charmantes jeunes femmes aussi, et ça me convient parfaitement. » Ajouta-t-il donc.

Et il le dit forcément, dans un sourire. Parce qu’il n’y avait aucune raison qu’il s’en cache après tout, au vu de la situation. Ce n’était pas comme si c’était inconnu le fait que le jeune homme passait beaucoup de temps en compagnie de jeunes femmes, sans pour autant souvent s’en rappeler. Enfin, surtout, il savait qu’il avait passer les nuits en compagnie de femme, mais il ne parvenait pas toujours se souvenir de leurs noms par exemple. En grande partie, parce qu’il enchaînait quand même les conquêtes.

Grantaire ne se rendait pas compte du tout d’à quel point il faisait du mal à Louison en disant ce qu’il disait. À sa décharge, le jeune homme ne cherchait pas du tout à lui faire du mal, s’il avait conscience de la réalité des choses et des sentiments que la jeune femme envers lui. S’il les voyait, peut-être que le jeune homme agirait autrement. Mais en même temps, il ne voyait rien donc. Et Louison, clairement, ne manquait pas de bien cacher les sentiments qu’elle avait pour lui. Donc non, Grantaire ne prenait pas du tout de gant en parlant à la jeune femme, en parlant donc des jeunes femmes qu’il ne manquait pas d’avoir dans son lit à longueur de temps. Et il était assez fier de ses propos d’ailleurs. Il n’y avait pas que le vin dans sa vie, il y avait les femmes. Et en dehors de ça… Grantaire ne pouvait pas nier le fait qu’il n’y avait pas grand-chose de plus. Bon, en un sens, il y avait quand même la cause des Amis de l’A B C et tout ça allait quand même le mener à combattre avec les autres. Il ne le savait pas encore, mais en même temps il ne disait pas maintenant qu’il était réellement incapable de faire quelque chose au moment où il fallait agir. Ce n’était pas parce qu’il ne partageait pas réellement les valeurs des Amis de l’A B C, qu’il n’allait rien faire. Au final, il allait agir, sans même réellement le savoir.

Louison ne manqua pas de répliquer quelque chose en tout cas, puisqu’elle ne semblait pas accepter ses propos. Grantaire afficha une grimace quand la jeune femme précisa qu’au bout d’un moment, il allait simplement épuiser toutes les jeunes femmes et qu’il ne restera donc plus rien. Ou bien que son charme n’allait plus agir. Nouvelle grimace, le jeune homme avait beaucoup de mal à accepter les propos de la serveuse quand même. Ce n’était jamais agréable d’entendre que son charme allait disparaître et qu’à un moment donné, Grantaire n’allait plus être qu’un poivrot sans dignité. Grantaire n’avait pas pour habitude de se vexer, et heureuse, il plaisantait lui-même sur lui-même… mais quand même, ça allait un peu loin maintenant. Même si le jeune homme le prenait sans aucun doute encore bien trop à la légère, sans se rendre compte qu’il y avait une bonne raison de ces propos en fond.

« Comment tu peux dire que je vais perdre mon charme. » Dit-il alors en en jouant les vexé. Il ne pouvait pas entièrement nier le fait qu’il l’était un peu, mais il était peut-être de toute façon trop bourré (et vu qu’il l’était tout le temps, ça n’allait pas changer) pour l’être complètement. « Je ne vais quand même pas perdre la seule chose qui me rend intéressant. » Le pire, c’était qu’il le pensait un peu. « Au moins, quand je serais qu’un simple poivrot, tu seras toujours là toi pour me servir. » Reprit-il un large sourire sur le visage.

Grantaire n’avait aucune raison de prendre cette conversation au sérieux, de toute façon il était bien trop alcoolisé pour ça. Cela dit, il devait bien reconnaître que l’idée de perdre son charme et de ne pas pouvoir éconduire régulièrement de belles jeunes ne lui plaisait pas plus que cela. Parce qu’il aimait la vie qu’il menait présentement, il aimait la vie qu’il avait et qu’il s’était construit. Tout n’était pas parfait sans doute, il apprécierait sans doute d’avoir plus de sou dans ses poches, mais en même temps il n’avait pas trop à se plaindre non plus. Parce qu’il buvait à sa guise, ou presque, il avait des amis, il passait du bon temps avec des jeunes femmes, clairement ces temps-ci il n’avait aucune raison de se plaindre. En grande partie parce que Grantaire se contentait vraiment de peu de chose. Parce qu’il n’avait pas besoin de beaucoup pour apprécier sa vie. En fait, il n’avait même besoin que de très peu de chose pour apprécier sa vie.

Ce qui n’était pas le cas de Louison, mais il ne s’en rendait pas forcément plus compte que cela. Ce n’était pas qu’il n’en avait que faire de la jeune femme, au contraire il l’appréciait suffisamment pour ne pas envisager de la conduire dans son lit (et c’était vraiment la preuve qu’il l’appréciait). Mais ça ne voulait pas dire qu’il s’intéressait suffisamment à sa vie pour savoir réellement à quoi elle pouvait bien aspirer. Ce qu’elle était prête à faire d’ailleurs dans le seul but de prouver sa valeur. Il ne pouvait pas deviner donc qu’elle aspirait à bien plus que juste rester derrière son comptoir et servir de l’alcool. Même si elle ne manqua pas de le lui dire, en affirmant qu’elle aimerait assez faire autre chose de sa vie.

« Alors qu’est-ce que tu attends pour faire autre chose ? » Il avait été le premier à lui faire remarquer qu’elle n’était que derrière son comptoir, mais en même temps il pouvait être aussi celui qui lui affirme qu’elle devait prendre le taureau par les cornes. Pour changer. « Dis-moi ma belle Louison, qu’est-ce que tu as envie de faire ? » Demanda-t-il, s’amusant bien plus de la conversation qu’il ne devrait sans doute.

Cela dit, il ne posait pas la question sans aucun intérêt. Oh, ça l’amusait, clairement, il riait plus qu’autre chose, mais la réponse de la jeune femme l’intéressait quand même un peu. Sinon, il était évident qu’il ne poserait pas une seule seconde la question, ça serait perdre beaucoup trop de temps. Quand bien même, il en perdait déjà en discutant avec Louison plutôt que de retourner à la réunion des Amis de l’A B C. On allait encore dire qu’il n’était pas sérieux, qu’il n’était pas investie… et on aurait sans doute raison d’ailleurs.

Grantaire savait bien que Louison était techniquement bloquée par les considérations sociables. On ne demandait pas à une femme d’avoir des revendications, d’avoir même de réelles opinions. Grantaire ne dérogeait pas forcément à la règle, il ne s’imaginait pas que Louison puisse être capable de faire quoi que ce soit dans le combat qu’ils menaient. Enfin, en même temps, le jeune homme était plutôt d’avis qu’il n’était pas non plus possible pour quiconque de faire quoi que ce soit en réalité, mais ça c’était quelque chose qui lui était propre. Cela dit, même s’il ne cachait pas le fait qu’il ne considérait pas réellement Louison capable, il se demandait quand même bien pourquoi, puisqu’elle ne manquait pas d’affirmer qu’elle avait d’autres aspirations, la jeune femme se contentait juste de rester derrière son comptoir.

Enfin, il ne fallait pas demander au jeune homme d’être particulièrement résonné, ce n’était pas son genre en temps normal et quand il avait bu ça l’était encore moins (même si très clairement, on pouvait affirmer qu’il buvait de toute façon tout le temps, autant dire qu’on n’était pas sortie de l’auberge). Louison répondit donc à sa question, affirmant qu’elle voulait « changer le monde » rien que ça. En même temps, Grantaire n’était pas spécialement étonné de sa réponse, parce qu’elle avait déjà montré qu’elle était intéressée par la cause qu’ils menaient dans l’arrière salle du café. Elle avait donc envie de prendre part à leur combat, assister aux réunions. Grantaire ne se retint pas d’afficher un sourire en entendant les propos de la jeune femme, qu’il trouvait évidemment bien trop idéaliste. Cela dit ça ne changeait pas vraiment des autres personnes qu’il avait l’occasion de croiser à longueur de temps dans l’arrière salle du café.

« C’est tout ce que tu veux ? » Demanda-t-il alors, sans perdre son sourire. Bon, c’était quand même déjà beaucoup en soit et sans doute que certaine personne apprécierait d’entendre ces mots, mais Grantaire trouvait ça quand même particulièrement léger. « Tu ne désires rien de plus… personnel ? »

Non, parce que c’était bien beau d’affirmer qu’elle avait envie de changer le monde, qu’elle avait envie de se battre, de mener leur combat, mais pour elle-même, elle ne désirait rien ? Grantaire était d’avis que tout le monde (sauf peut-être Enjolras, mais il était un cas à part lui) désirait quand même quelque chose pour sa propre personne. C’était normal, c’était dans la nature humaine.

Qu’on ait envie de changer le monde c’était une chose et à force, Grantaire n’avait pas d’autres choix que de se rendre à l’évidence, il y avait bel et bien des personnes qui souhaitaient vraiment changer le monde et révolutionner la vie des petites gens. Mais ça ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas y avoir une part un peu plus personnelle dans toute cette histoire et Grantaire ne pouvait pas s’empêcher de se dire que ça devait être le cas de Louison. Oh, il y avait de forte chance qu’il se trompe, mais cette jeune femme semblait plus déterminée que beaucoup de jeune homme dans cette salle, beaucoup plus que lui mais en même temps ce n’était pas vraiment difficile d’être plus déterminé que lui.

Mais voilà, c’était ça qu’elle avait envie pour sa vie, pour son futur. Grantaire ne pouvait techniquement pas juger, parce que de son côté il était clair qu’il était incapable de se projeter dans le futur. Déjà, il n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire le lendemain, voir le soir même, d’ici quelques heures sa situation allait potentiellement changer et il n’en savait rien. Mais pas de projet personnel donc, Grantaire ne manquait pas d’en être un peu déçu. Oh, en soit ça ressemblait pas mal à Louison, il n’allait pas le cacher, mais il s’était quand même attendu à ce qu’elle puisse avoir des rêves plus personnels, des désirs plus intimes. Comme toutes les donzelles de son âge, l’envie de trouver le prince charmant, d’avoir une belle vie. C’était que le poivrot pouvait être quelque fois un peu romantique.

« À mon humble avis, tu manques un peu d’égoïsme belle Louison. »

Qu’elle veuille ou non son avis sur la question, Grantaire le lui faisait savoir dans tous les cas. Il n’avait pas spécialement de raison de se retenir et vu tout le vin qu’il avait bu, il était évident qu’il n’allait pas se retenir. C’était comme ça, le jeune homme se contentait simplement de dire ce qui lui passait par la tête. Et c’était exactement ce qui lui passait par la tête. Il appréciait la serveuse du café Musain – pas autant qu’elle le voudrait sans doute, mais en même temps c’était mieux pour elle –, il n’avait pas spécialement envie de la voir dépérir parce qu’elle s’attachait à une cause qui n’en valait pas la peine. Un peu comme lui en somme, parce qu’il ne gagnait pas grand-chose à se rendre à ces grandes et belles réunions et il n’avait rien à gagner à ce que ça finisse par exploser. Mais en même temps, ce n’était pas comme si Grantaire cherchait à obtenir vraiment quelque chose.

Le jeune homme pensait continuer, dire encore quelque chose, quand des éclats de voix un peu plus fort lui parvinrent de l’arrière salle. Ah. Il devait être en train de rater quelque chose de fort intéressant. Grantaire releva son regard vers la jeune femme sous ses yeux.

« Désolée Ma belle Louison, mais il semble important que j’y retourne ou je vais rater le clou du spectacle. Je reviens vite, j’ai le gosier encore tout sec ! »