Il ne faut jamais se fier aux apparences [pv David]

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rsus, durant très longtemps, n'avait vécu que pour lui-même (et vaguement pour son loup, si l'on veut), ses priorités et choix étaient très simples et ne concernaient que des besoins directs et naturels, toujours focalisés sur sa propre personne. Il ne se souciait que de la manière dont il saurait satisfaire à ses désirs purement primitifs, avec dans l'intention de voir encore le lendemain le jour se lever. Il ne subissait pas le souci de la plupart de ses congénères, qui empêtrés dans des mariages, des amitiés, des amours, des histoires de famille complexes, ne passaient jamais la moindre journée sans avoir la peur au ventre et le besoin d'être tourné vers l'autre. C'était simple, comme vie. Certainement primitif, pas le genre de projet d'existence que l'on souhaite à quelqu'un que l'on voulait voir se hisser dans les plus hautes sphères de la société, mais le saltimbanque avait su sans mal s'en satisfaire, et sans se penser idiot pour autant. À ses yeux, son intelligence venait justement de son absence de sociabilité. Il était cultivé, il était philosophe, mais sa culture et sa philosophie, il ne les réservait et appliquait qu'à lui, et il trouvait cela largement suffisant. Du moins, il l'avait cru suffisant.

Et puis, un jour, Gwynplaine et Déa étaient venus à lui, soufflés par une bourrasque de neige. Et tout ce qu'il avait cru impossible, tout ce à quoi il s'était refusé, tout ce qu'il réservait aux autres mais pas à lui-même s'était imposé à lui. Il aimait ces mômes, ses mômes, et son plus grand souci les concernaient bel et bien, à présent. Et en tête de liste, il y avait sans le moindre doute possible le souci de les perdre, et c'est ce qui était arrivé.

Ursus avait écouté sans protester quand il avait appris, donc, que Gwynplaine avait un héritage à reconquérir, il avait accepté de la même manière que Dea veuille suivre Gwynplaine, puisque cétait ce qu'il y avait de plus naturel. Mais il avait compris, en revanche, que lui n'avait pas sa place, et tandis qu'il contemplait sa roulotte qui retrouverait bientôt les grandes routes de France et son usage passé, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver un pincement au coeur. Le spectacle de l'homme qui rit n'existait plus, il n'existerait plus jamais, et si une scène leur était toujours consacrée, il ne fallait pas faire d'illusion.

Alors qu'Ursus sortait de sa roulotte, il tomba nez à nez avec une personne qui lui était familière. Ou qu'il avait cru lui être familière, tout du moins. Mais depuis, il avait découvert qui cet homme était réellement.

-Si vous venez voir le spectacle, c'est peine perdu, dit-il avec froideur. Mais ça, vous le savez déjà, bien entendu.

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rsus ne s'étonnait pas réellement de la réponse de son interlocuteur. Il avait su dès qu'il l'avait vu arriver que l'homme n'était pas là pour se divertir mais là pour avoir une discussion avec lui. Les termes de la discussion, Ursus ne pouvait les connaître en détails, mais en revanche, il se doutait sans problème de ce que devrait être le sujet de leur conversation.

Il s'avérait au bout du compte qu'Ursus et David n'avaient pas grand-chose en commun, mais une tout de même, pas volontairement mais par la force des choses : leur destin était lié, d'une manière ou d'une autre, à celui de Gwynplaine, et puisque ce dernier s'était découvert de nobles origines, qu'il avait de fortes chances d'embrasser complètement, ne restait plus, pour Ursus et David, qu'à accepter la situation ou décider d'y faire quelque chose. Est-ce qu'une conversation entre eux deux était nécessaire ? Pas réellement... Mais puisqu'ils étaient là et vu les circonstances, puisque l'homme était venu le trouver, Ursus n'allait pas lui tourner le dos et, plutôt, écouter ce que David avait à lui dire très précisément. Il hocha la tête, il n'allait pas refuser ça, de toute manière. Ce ne serait que remettre à plus tard une discussion qui dans le fond était sans doute inévitable.

Et puis, il avait besoin d'en parler, à quelqu'un qui n'était pas Gwynplaine ou Déa, qui étaient tous les deux de parti pris. Il y avait bien son ami, Jean (il avait appris son nom très récemment et avait bien compris qu'il devait être l'un des seuls à le connaître), qui l'était devenu par une opération miraculeuse qu'elle ne s'expliquait pas réellement, mais ce dernier faisait face à ses propres problèmes (qui semblaient autrement plus important), et il n'avait aucune forme d'implication dans l'affaire. Oui, en parler à David semblait être le mieux à faire, réellement.

-Eh bien soit, je vous écoute.

Il ne lui offrit pas de s'asseoir, il ne lui proposa pas à boire ou à manger, il se contenta d'attendre que son interlocuteur dise ce qu'il avait à dire. Il n'avait pas envie de rendre cette converesation plus cordiale que nécessaire. Il voulait simplement savoir ce qu'il en était, récupérer les quelques cartes qu'ils n'avaient pas encore en mains.

 

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rsus ne prit même pas la peine de répondre quand son interlocuteur suggéra qu'il était au courant de la situation. Oui, il l'était, malheureusement, et c'était évident. Il avait été aux premières loges pour assister à ce spectacle qu'il n'avait pas mis en scène et qui le faisait hautement souffrir, ce que ne laissaient jamais soupçonner, bien sûr, ses airs bougons et renfrognés. Oui, il savait en effet ce qu'il en était, il savait qu'il ne serait définitivement plus le père de celui qu'il considérait comme son fils depuis l'instant où il l'avait recueilli dans sa carriole, même s'il avait toujours prétendu le contraire par une sorte d'orgueil mal placé, qui lui faisait encore défaut à ce jour.

Oui, il avait conscience de la situation, et même s'il avait été le premier à encourager Gwynplaine de voler de ses propres ailes et de faire les choix qu'il désirait, l'idée qu'il les abandonne, qu'il ose abandonner Dea également, le torturait, en réalité. Alors oui, Ursus savait, et oui, Ursus n'était absolument pas enchanté par la situation, loin de là.

Ursus s'était juré de ne pas intervenir. Il ne pouvait pas refusé à Gwynplaine un titre et une fortune qu'il ne serait jamais capable de lui offrir sous le prétexte qu'il ne voulait pas partager son fils avec qui que ce soit. Ursus avait toujours su qu'il ne serait que de passage dans la vie de ses "enfants", la situation se contentait de le confirmer. Cela dit, c'était une chose de ne rien faire quand il s'agissait seulement pour Gwynplaine de récupérer un nom, une réputation, un rang... Bref.

Mais dans ses plans, Dea restait à ses côtés, et surtout, il ne subissait pas les machinations des uns et des autres. Gwynplaine devait se marier à quelqu'un d'autre. Et en plus à cette satanée duchesse qui n'avait pas attendu toutes ces affaires pour troubler le quotidien des Girardet. Alors ce n'était certainement pas une chose que le saltimbanque pouvait vouloir voir advenir. Loin s'en faut.

-Je doute que ça arrange Gwynplaine, surtout, répliqua Ursus qui n'admettrait pas l'immense part d'égoïsme dans sa réponse. Certes, il était convaincu que le jeune homme n'avait pas voulu cela non plus, mais affirmer qu'il ne souhaitait pas retrouver son fils serait mentir. Vous avez une idée pour remédier à ça ?

S'il en avait une, Ursus prendrait... Même si ce n'était pas conforme à ses préceptes. En même temps, cette situation ne l'était pas davantage.
 

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rsus ne réagit pas d'une once quand son interlocuteur observa que sa fille était très proche de Gwynplaine. Ce n'était pas forcément une chose qu'il devrait laisser savoir. Quand bien même Gwynplaine et Dea n'étaient pas du même sang, ils avaient grandi ensemble et portaient le même nom, par là pouvait venir le scandale pour quiconque s'appliquait à le chercher... mais il est vrai que l'homme n'avait jamais vraiment à cacher l'affection que se portaient ses deux "enfants" qui avaient été au final les seuls à vouloir se mentir à ce sujet, du moins un temps. Leurs sentiments se laissaient mettre en scène d'eux-mêmes, quand ils montaient encore sur les planches, leur histoire était prétexte à pure dramaturgie... alors soit, son interlocuteur était attentif, alors il était au courant. Mais la seule intervention de Dea ne sauverait pas la situation... Sinon, ce serait chose faite depuis bien longtemps.

-Dea ne vous aura pas attendu pour chercher à le convaincre, croyez-moi, bougonna Ursus le fataliste.

Et en effet, même s'il ne s'était pas pour cette fois immiscé dans leurs affaires, il était prêt à parier que c'était le cas. La nouvelle des origines de Gwynplaine était intervenue en même temps que l'aveu sincère des sentiments des deux jeunes gens. Trop tard, en somme. Un arrêté royal avait déciddé de la suite, et Ursus était prêt à parier que Gwynplaine renoncerait de bon coeur à ses titres et à sa fortune pour ne pas perdre Dea, seulement, les choses avaient depuis un temps dépassé leur seule volonté.

-Pour Gwynplaine, je pense que l'affaire est toute réfléchi. Si cela doit vous rassurer, je doute fort qu'il veuille de ce mariage plus que vous-même.

Si vraiment, ils voulaient modifier les cours des choses, ce n'était pas simplement en exprimant un refus, même poli et mesuré, qu'ils parviendraient à quoi que ce soit. Gwynplaine aurait eu le loisir de ne pas aller jusqu'au bout, de ne pas sortir de l'ombre en reconnaissant être l'héritier légitime de Linnaeus Clancharlie. Pour autant, il l'avait bel et bien fait, et en exposant son visage défiguré à la lumière, en se plaçant de lui-même sur le devant d'une scène pétrie de bourgeoisie et peu familière, il s'était laissé prendre au piège. Tout retour en arrière semblait, ceci considéré, plus complexe qu'il n'y paraissait.
 

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rsus hocha la tête dans un soupir quand son interlocuteur observa que la situation était particulièrement épineuse. C'était rien de le dire, en effet, une affaire excessivement complexe et qui, à présent, les dépassait tous, tous autant qu'ils étaient. Dès le début, Ursus n'avait pas aimé la tournure que prenaient les choses, mais il ne pouvait pas empêcher son fils d'adoption d'embrasser son destin, d'acquérir un niveau de vie bien supérieur à tous ceux qu'il serait jamais capable de lui accorder. Et aussi, il avait pensé que cette situation saurait également profiter à Dea. De toute évidence, il s'était trompé.

Cette affaire de mariage, aucun d'eux ne l'avait anticipée, et elle allait tous les dendre malheureux, à présent... C'était un fait, un constat pessimiste, mais un constat tout de même, contre lequel Ursus considérait qu'il n'y avait absolument rien à faire. Bien sûr qu'il aimerait pouvoir revenir en arrière, bien sûr qu'il souhaiterait altérer le cours des choses. Mais l'affaire était allée trop loin. Maintenant, le destin de Gwynplaine - tout comme celui de son interlocuteur, par ailleurs - reposait entre des mains qui n'étaient plus les leurs.

Quelle était la solution ? Ursus, en indécrottable pessimiste devant l'éternel, était tenté de considérer qu'il n'y en avait pas. Ce n'est pas qu'il était incapable de se battre au nom de ceux qu'il aimait si cela pouvait aboutir à un quelconque résultat, mais il n'avait pas envie de s'égosiller et de s'évertuer pour rien. Il devait dépenser son énergie, plutôt, à préserver ce qui devait l'être... et c'était à Dea, surtout, qu'il pensait, bien plus qu'à Gwynplaine. La jeune femme était fragile, même si son coeur renfermait une force incroyable, et il se devait de mettre tous les moyens à sa disposition pour l'empêcher de sombrer.

-Je le sais, répondit Ursus avec sérieux, car en effet, il avait bien conscience de ce qui pourrait bien attendre Gwynplaine maintenant qu'il avait pénétré, de son propre chef, la fosse aux lions. Il y avait de bonnes chances pour qu'il n'en sorte pas indemne... c'était même couru. Ca a toujours été comme ça, Gwynplaine a toujours été attiré par... la lumière.

Et à voler trop près du soleil, on savait précisément ce qui se passait, on se brûlait inévitablement les ailes.
 

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rsus ne se voyait pas intervenir dans les choix et dans la vie de Gwynplaine, quand bien même ces choix devaient lui déplaire. C'était ainsi, il considérait que le jeune homme était libre de ses actes, et il se devait d'en assumer les conséquences dans tous les cas. Bien sûr, il ne voulait pas précipiter son fils de coeur dans la gueule du loup, mais dans tous les cas, ce dernier ne savait de toute façon pas l'écouter quand il le faudrait.

Ce n'était pas faute de l'avoir mis en garde, de lui avoir demandé de prendre garde aux conséquences de ses choix, mais Gwynplaine était têtu (même s'ils n'étaient pas du même sang, ils avaient clairement cela en commun), et il n'y entendait rien, rien du tout. Et maintenant, il était sans doute trop tard. A présent que l'homme qui rit avait accepté son héritage, difficile de revenir en arrière, d'autant plus qu'ils étaient tous au courant, maintenant. La machine avait été lancée qui plus est, est il était difficile de l'arrêter. A moins de l'enrayer. Mais est-ce que c'était vraiment possible ? Il n'en savait rien. Pour la sécurité de son fils, peut-être qu'il était préférable, au bout du compte, de laisser faire et de ne pas intervenir.

-A quelles sortes de préjudices pensez-vous ? demanda Ursus en arquant un sourcil.

Le saltimbanque n'était pas né de la dernière pluie, loin de là. Il en avait suffisamment vu et vécu pour avoir parfaitement conscience de ce que le monde était capable exactement de faire et à quelpoint il était capable de nuire. Gwynplaine avait plus de caractère qu'on ne le soupçonnerait, et il était capable de faire face à l'adversité quand cela était nécessaire... Mais il s'apprêtait à plonger dans un vrai bassin de requins. Ursus savait certaines choses, certes, mais David lui connaissait ce milieu depuis très longtemps, il y avait grandi, et il connaissait les principaux acteurs de cette histoire.

Alors même si son opinion sur la question manquerait sans doute d'objectivité, il tenait à savoir ce qu'il pensait. Il n'écouterait peut-être pas tout ce qu'il avait dire. Il sélectionnerait peut-être les informations qui avaient de l'importance ou non et choisirait d'en tirer les conclusions qui s'imposaient, mais quoi qu'il en soit, Ursus tenait à entendre la réponse que son interlocuteur aurait à donner à cette question... Sachant d'avance qu'elle avait de très fortes chances de lui déplaire.
 

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rsus n’était pas un homme naïf, c’était même tout l’inverse. Il était, bien au contraire, un homme profondément pessimiste, et qui ne manquait pas d’afficher ce pessimiste dès lors que l’occasion se présentait. Il avait appris, en s’improvisant père, à vouloir le meilleur des avenirs pour ses enfants, mais ce n’est pas pour autant qu’il s’imaginait que Gwynplaine tout comme Dea avanceraient sur un chemin pavé d’or et de roses, d’autant plus que leur situation n’avait rien d’enviable, en quoi que ce soit, brisés par la vie avant même d’avoir l’occasion de la vivre.

Alors tout comme il avait une piètre vision de l’avenir, il avait une faible foi en la fortune et dans les bienfaits qu’elle pourrait éventuellement apporter. Ursus savait bien qu’en décidant d’accepter son héritage, son fils se jeter dans une fosse remplie des pires prédateurs que savait compter ce monde. Il n’était pas rassuré pour lui, mais il n’avait pas l’intention, pour autant, d’imposer à son fils sa vision, de l’obliger. Il avait manifesté son désaccord de bien des manières, il l’avait mis en garde à plus d’une reprise. C’était à Gwynplaine, à présent, de faire ses choix et de s’y tenir. Malheureusement, ce n’était pas forcément assez… Et son instinct l’obligeait également à entendre les mises en garde d’autrui, même s’il ignorait dans quelle mesure il pouvait ou devait ou non prêter sa confiance à l’homme qui lui avait fait face, et que son fils avait floué sans même s’en rendre compte.

Qu’est-ce qui attendait Gwynplaine ? Dirry-Moir se montrait évasif, malheureusement. S’il n’était question que de moqueries et de quolibets, ce serait supportable. Gwynplaine avait appris depuis longtemps à y faire face et à en faire une force. Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’il n’en souffrait pas, bien sûr, mais il saurait s’y confronter. Seulement, les hautes sphères avaient les moyens de bassesse qui échappaient sans doute aux créatures des bas-fonds auxquelles Ursus avait toujours appartenu.

-Vous seriez sans doute surpris d’apprendre que l’on sait jouer aux mêmes jeux ici bas, répondit-il.

Il entendait ce que son interlocuteur avait à lui dire, et lui-même serait rassuré si Gwynplaine renonçait à ses projets. Seulement, ce n’était pas à lui de décider… et il insisterait bien là-dessus, quitte à ne pas être compris à ce sujet.

-Je répéterai vos dires à Gwynplaine, mais sachez d’avance qu’il ne m’écoutera pas.

En même temps, quel homme écoutait-on moins que son propre père. C’était presque dans l’ordre des choses, à la vérité.

 

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rsus fronça les sourcils en entendant la réponse de son interlocuteur. S'il avait pu entendre dans les précédents propos de Dirry-Moir comme une sorte d'avertissement presque bienveillant, il n'était pas franchement certain de pouvoir encore interpréter son discours comme quelque chose de positif, et surtout d'innocent. Qu'il lui suggère de profiter de la présence de Gwynplaine tant qu'il le pouvait passer encore. Parce qu'Ursus en avait effectivement conscience. Pour lui, accepter que son fils de coeur embrasse son destin, c'était accepter par la même occasion de le perdre, parce que leurs mondes ne pourraient plus cohabiter.

Lui n'aurait aucune raison de rester à Paris dès lors que Gwynplaine aurait retrouvé son nom. Il savait que ce n'était pas le voeu de son fils adoptif, mais lui était bien décidé à repartir sur les routes et à reprendre la vie qu'il avait eue autrefois, résolu à ne plus avoir de nouvelles de son fils de coeur. Oui, cela lui brisait le coeur, oui, il ne le désirait pas vraiment, mais il fallait bien qu'il se fasse une raison. Laisser Gwynplaine accepter son héritage, c'était renoncer à lui... mais il n'avait pas le sentiment que c'était en ce sens que son interlocuteur s'exprimait. Peut-être à tort, il avait comme le sentiment que quelque chose de plus obscur, de plus néfaste, habitait ses propos... et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'aimait pas cela du tout.

-C'est une menace ? demanda-t-il non plus d'un ton bourru, mais d'une froideur qu'il était rare de lui connaître. S'il n'était jamais jovial, il n'était jamais non plus agressif... Il ne se donnait pas l'occasion de sortir les griffes car il n'en voyait pas réellement l'intérêt, mais quand il était question de ses enfants adoptifs, c'était tout de suite une autre affaire.

Pouvait-il réellement s'agir d'une menace ? Il n'en savait rien, mais ne serait-ce qu'en avoir le soupçon suffisait à lui hérisser le poil. Qu'on cherche à mettre Gwynplaine en garde contre le monde qu'il s'apprêtait à intégrer, soit, c'était assez... logique. Mais qu'on lui laisse entendre que le pire pourrait lui arriver s'il ne parvenait pas à le convaincre de rebrousser chemin, c'était autre chose.
 

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on interlocuteur pouvait bien lui affirmer qu'il n'était certainement pas en train de lui adresser une quelconque menace, Ursus avait bien du mal à le croire, à l'heure actuelle. Que la menace le concerne lui ou plus spécifiquement ses enfants, ce n'était pas la question, les avertissement de son interlocuteur semblaient avoir valeur de prédiction, et le saltimbanque songeait que s'il pouvait être donné à David Dirry-Moir de donner corps à ces prédictions, il ne s'en priverait pas.

Ursus n'était pas naïf, il n'avait certainement pas attendu les avertissements de son interlocuteur pour s'inquiéter de ce qu'il adviendrait de Gwynplaine et de Dea. C'était le cas depuis, pour ainsi dire, toujours. Ca avait été le cas quand ils parcouraient ensemble les routes de France et d'Angleterre, ça avait été le cas au moment où la duchesse Josiane avait commencé à s'intéresser de trop près aux spectacles de l'homme qui rit, et c'était plus le cas encore depuis que Gwynplaine avait fait la lumière sur ses véritables origines et s'était découvert du sang noble.

Ursus était particulièrement inquiet de ce qui arriverait à ses enfants, mais il gardait tout de même sa philosophie initiale à l'esprit. Il n'avait pas à interdire à Gwynplaine de suivre le chemin qu'il voulait emprunter, et ce peu importe la nature de ce chemin où les conséquences que cela pourrait avoir. Ursus prétendrait toujours n'avoir fait qu'accompagner Gwynplaine et Dea un bout de chemin. Il rechignait déjà admettre aimait ses enfants, quand bien même c'était pourtant la plus absolue des vérités, il ne fallait pas s'attendre de sa part à ce qu'il fasse preuve d'autre chose que de mauvaise foi dans des circonstances comme celle-ci, surtout face à un interlocuteur comme celui à qui il faisait face, et qu'il découvrait d'une duplicité monstrueuse.

Ursus avait en horreur l'idée son fils se retrouve seulement environné d'individus de son espèce, jeté dans la fosse aux lions, dans une mer agitée de requins. Mais là encore, ce n'était pas sa décision. Et quand bien même ça pourrait l'être encore, dès l'instant où la royauté s'en mêlerait, sa parole n'aurait définitivement plus le moindre poids.

-Si c'est pas une menace, elle en donne tout l'air, répliqua Ursus. Je m'épargnerais bien vos conseils. Ces enfants ne sont pas les miens de toute manière, ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent, prétexta-t-il avec sa mauvaise foi habituelle.

Une mauvaise foi qu'il n'inventait pas pour l'occasion, c'était un discours qu'il prononçait de façon quasi-constante, sans que les principaux concernés soient jamais dupes.
 

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on interlocuteur pouvait bien dire ce qu'il voulait, Ursus avait bien entendu ce qu'il avait entendu, un "on ne sait jamais ce que l'avenir peut réserver à votre fils", ça ressemblait tout de même largement plus à une menace à peine dissimulée qu'à un véritable conseil bienveillant. Encore moins venu d'un homme qui avait effectivement d'excellentes raisons d'espérer que l'avenir de Gwynplaine ne soit pas si heureux, puisque de l'avenir de l'un dépendait plus ou moins celui de l'autre à ce jour, et pas de la meilleure manière. Ursus, dans tous les cas, ne tenait pas à entrer dans ce genre de débats stériles, ça ne servirait à rien... tout comme parler à David ne servait pas à grand-chose en fin de compte. Que pourrait-il bien en retirer ?

La réponse était relativement claire : rien du tout, car ce n'était dans tous les cas pas Ursus qui aurait le pouvoir de dissuader son fils d'accepter son héritage. Il avait essayé, à sa manière, par le passé, quand la duchesse lui tournait autour avec un peu trop d'insistance, de le ramener à la raison, mais Gwynplaine, sans être de son sang, semblait avoir hérité de son fichu caractère borné. Alors s'il n'était pas possible de fairie entendre raison au père, il ne fallait pas s'attendre à des miracles non plus concernant le fils, c'était comme ça.

-Parce que vous vous préoccupez d'eux, vous, peut-être ? rétorqua Ursus d'un ton bougon.

C'était un peu facile de lui faire des leçons de morale sur la manière dont il élevait et aimait ses enfants (même s'il l'avait bien cherché, il récoltait la monnaie de sa pièce, à ainsi prétendre qu'il était indifférent au sort de ses enfants alors qu'en réalité, il ne serait plus rien sans eux et n'avait pas la moindre idée à ce jour de ce qu'il adviendrait de lui quand Dea et Gwynplaine ne seraient plus à ses côtés - il aurait sans doute été beaucoup plus facile pour eux qu'ils partent le premier).

-Je sais très bien quel est votre intérêt dans cette affaire, et votre intérêt ne peut pas être celui de Gwynplaine, alors je pense que je fais un très bon travail en ne vous écoutant pas. Il marqua une pause. Par ailleurs, je vous l'ai dit, Gwynplaine n'entendra pas raison, j'ai déjà essayé, je ne vous ai pas attendu pour ça. Vous perdez votre temps autant que vous me faites perdre le mien.
 

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rsus ne recevrait aucun conseil, remarque ou réflexion de la part de son interlocuteur. Il n'en voulait pas, absolument pas, il savait ce qu'il en était, il savait quel était le fil de sa pensée, et si son interlocuteur décidait de juger l'affection qu'il avait pour Gwynplaine ou le soin qu'il prenait à le protéger, c'était son affaire, et même si cet homme était directement concerné par le sort de son fils de coeur, il était évident que leurs intérêts divergeaient. Cet homme ne réussirait pas à la culpabiliser. C'est certain, Ursus n'était pas le père de l'année, loin s'en faut, mais il tenait aux intérêts de Gwynplaine. S'il avait décidé de se mettre de côté, c'était parce qu'il pensait que la vie qu'il pourrait mener serait bien meilleure sans lui, et qu'en effet, Gwynplaine était un adulte libre de ses choix, libre de sa vie. Mais maintenant, les circonstances étaient bien différentes.

Ursus comptait en prendre compte, mais certainement pas en présence de son interlocuteur. Il ne pouvait nier qu'ils avaient quelques intérêts commun, tous les deux, mais leur collaboration ne mènerait définitivement nulle part. Cet homme, c'était l'évidence, n'hésiterait sans doute pas à planter un poignard dans le dos de son fils de coeur afin d'obtenir ce qu'il désirait... Et Ursus se défiait de lui par-dessus tout. Cette conversation aura été relativement vaine, mais elle permettait à Ursus de mieux identifier ses ennemis, toutefois. Et même si c'était un peu hâtif, il décidait de retrancher son interlocuteur dans cette présente catégorie. Autant dire que poursuivre plus avant le débat ne mènerait à présent plus où que ce soit.

- C'est ça, bon vent ! répliqua Gwynplaine, toujours aussi décidé à se montrer le moins agréable possible.

C'est qu'à ses yeux, tout était dit, et il n'y avait définitivement rien à rajouter. Autant clore le débat tout de suite, si débat il yavait réellement, ce dont il doutait là encore. Le saltimbanque avait eu le sentiment d'assister à un dialogue de sourds. Et il était très certainement le plus sourd des deux, c'est certain. S'il en avait l'occasion, il irait trouver Gwynplaine et lui rapporterait cette conversation. Ne pas agir, soit, mais il y avait malgré tout des limites. Et il semblait à présent qu'elles aient été dépassées. 

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